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Je ne pouvais faire comme si…chapitre 3

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 12, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 2: l’inspecteur Kipré Bouazo se montrait perplexe dans le début de cette enquête. Il avait bien raison car un journaliste dérangeant, Soro Toxic, venait de renifler l’odeur d’un scoop.

Riviera palmeraie, dans une grande maison cossue, seize heures avant le crime…

Un homme, la cinquantaine récemment atteinte, fait l’amour dans un grand lit vide. Il gémit, parle avec douceur à une femme imaginaire, caresse ses draps et embrasse son traversin. La scène est drôle et mériterait d’être filmée afin d’être partagée sur tous les réseaux sociaux. Mais, debout devant son lit, une épouse choquée regarde son mari se tortiller comme un vers. Ce n’était pas nouveau de le voir dans une crise de somnambulisme, mais c’était la première fois qu’elle assistait à une crise de somnambulisme pornographique. Une main, comme les pales d’un hélicoptère s’éleva dans les airs et une monumentale claque vint s’abattre sur Kobo Jules-Sésar, le ramenant du septième ciel à la terre ferme. Dans un état d’hébétement, il vit sa femme, l’ire sur le visage et les bras sur les hanches, remuer ses lèvres avec véhémence. Lui, n’entendait que des hurlements vaporeux comme si pendant qu’elle lui gueulait dessus, un tortionnaire lui maintenait la tête sous l’eau. Une deuxième claque administrée à la vitesse de l’éclair lui déboucha les oreilles. « Tu n’es qu’un bon à rien ! Un vieux goujat irresponsable ! » Il voulut placer un « chérie » mais un index vif et brusque l’interrompit sans autre forme de procès. Madame Kobo Mariam née Diakité Madjara Mariam, une belle femme, de petite taille, ronde, un visage poupin dans lequel s’enfonçaient de magnifiques yeux en forme d’amande, indiqua à son époux qu’il était 07 heures 30 du matin et qu’il embauchait dans trente minutes. Il se leva et lui rétorqua que le retard d’un président-directeur général n’avait jamais tué personne et que c’était même le contraire qui était une agression psychologique pour les salariés.

–          Je me fiche pas mal de qui tu es. Je sais deux choses: d’une part tu es mon mari et d’autre part, pour moi, à cause de tes responsabilités, tu dois être le premier à donner l’exemple. Son mari, contrarié, lui indiqua qu’il n’était pas un enfant que l’on dirige comme un pantin et la mit définitivement en garde.

–          La prochaine fois, mes poings répondront de manière disproportionnée à tes sauvageries injustifiées.

–          Essaie seulement une fois pour voir. Ton cœur est mince ! Comme ta pééétasse de Cécilia dont tu ne cessais de répéter le prénom dans ton rêve érotique ne peut ou ne veut rien dire à tes paresses, tu penses que toutes les femmes sont pareilles. » Jules-Sésar fut cloué par la répartie vindicative et caustique de sa femme. Il se rendit compte que même si Mariam était une femme d’âge mûr, qui avait de grandes responsabilités en tant que directrice marketing d’une multinationale agroalimentaire, coulait aussi dans ses veines la violente effronterie des petites filles dioula de Côte-d’Ivoire dont nul ne savait désormais si c’était un cliché ou une réalité.

Elle fit une moue de dédain ponctué d’un « regardez-le avec ses boules à l’air » dit sur un ton agressif et persifleur comme seules les femmes ivoiriennes savent le faire. Elle s’approcha de son mari, se dressa sur la pointe de ses pieds, planta profondément son regard dans le sien et lui tapota le front avec son index droit.

–          Écoute-moi bien ! Toi ! Ecoute-moi trèèès bien ! Jamais tu ne seras un paresseux à mes côtés. De surcroît, sache que, je tolère tes adultères virtuels mais si j’apprends qu’une Cécilia, une Natogoma, une Aurélia, une Rama ou une je ne sais quoi de Déborah ou Fatoumata existe pour de vrai, je te brise les couilles et te fait bouffer ton pénis que j’aurai d’abord découpé puis grillé au barbecue, me comprends-tu? » Elle prononça cette menace en saisissant et pressant violemment les testicules de son époux. Celui-ci ne montra aucun signe de douleur et dans un flegme déboussolant lui dit: « écraser mes bourses ne me fera pas… » Il n’eut pas fini tout son propos que sa femme le tenait déjà dans une fellation bruyante.

Plateau, centre des affaires, quatorze heures avant le crime…

Le tintement de l’ampoule de l’ascenseur de l’immeuble Le Djékanou signala qu’on venait d’arriver au huitième étage. Kobo Jules-Sésar en sortit pianotant un texto sur son Vertu Ascent Ferrari 1947 payé dix-huit mille euros le mois dernier lors d’un voyage d’affaires à Monaco. Il lança un « bonjour » à l’ensemble de ses salariés depuis longtemps plongés dans leur boulot puis, s’enferma dans son bureau. Il déblaya sa table, y tendit ses jambes puis, les mains croisés derrière sa nuque, riva ses yeux sur la photo encadrée où il était avec le Président de la République lors de la remise des « Africa business awards 2008 ». Là, il laissa planer son esprit dans la pièce. Dix minutes plus tard, sa secrétaire lui apporta son café et une pile de journaux parus ce jour. Elle referma très lentement la porte scrutant l’attitude désinvolte et inédite de son patron. Elle en était sûre et certaine, celui-ci était contaminé par la « vendredite » galopante parmi les salariés du cabinet. Une fois la porte refermée, KJS, comme ses amis l’appelaient, récupéra son téléphone dans une poche intérieure de sa veste et fit défiler le menu jusqu’à messages reçus. Un éclair d’amour illumina ses yeux quand il tomba sur ce message: « ce vendredi soir mon cœur n’oublie pas que tu m’as promis un romantique restaurant car moi je n’oublierai pas de corriger ton analphabétisme sexuel hi hi hi…Cécilia ta tigresse adorée qui te croquera d’amour ». Aussitôt, il se souvint de la réponse qu’il avait finie de rédiger dès sa sortie de l’ascenseur: « ma délicieuse cannelle, j’ai une table réservée « au Gibier » et je viendrai avec mon cartable d’écolier rempli de fournitures scolaires. Rdv devant le restau à 19 heures 45. KJS » Il rangea son téléphone, eu une longue pensée coupable pour son épouse, s’imagina en premier lieu les couilles réduites en bouillie et, en second lieu, ligoté et forcé à bouffer son truc, braisé comme un poisson. Un spasme de dégoût le transperça. Il plongea immédiatement dans ses dossiers pour oublier.

Marcory, Boulevard Valéry Giscard d’Estaing, chez un opérateur de téléphonie mobile, treize heures avant le crime…

Serges Boli est un commercial dynamique. D’après les résultats des ventes, il est le deuxième meilleur vendeur juste derrière son ami Sébastien Kouassi. D’ailleurs, en guise de récompense, la Direction leur a promis une prochaine promotion. Serges rentre dans le bureau de Sébastien et le voit atterré. La cravate dénouée et la chemise défaite, ce dernier pleure. Serges, étonné, accourt près de son ami et l’interroge sur le pourquoi de cet état. Au milieu de ses sanglots, ce dernier promet qu’il se suicidera, qu’il la tuera, qu’il se suicidera, qu’il se suicidera parce que vivre avec çà n’est plus possible pour lui.

Serges Boli ferma la porte, revint vers son pote.

–          Djo Sébinho ya quoi ? interrogea-t-il très inquiet. Sébastien Kouassi releva la tête, essuya ses larmes et renifla fortement une grosse morve qui tentait de s’échapper pour ajouter une touche comique à la situation douloureuse qu’il vivait. Il l’avala sans gêne. Gleurp!

–          Je t’ai dit que depuis trois mois c’est bizarre entre Cécilia et moi. Elle garde constamment son téléphone auprès d’elle. Je me doutais qu’elle me cachait des choses donc j’ai téléchargé un logiciel de piratage des sms. Papa, je te laisse lire les messages.

Sébastien Kouassi s’effondra à nouveau en pleurs…

Adjamé-220 logements, pas très loin de Fraternité-Matin, trois heures après le crime…

Soro Toxic était passé au domicile de son frère, sur recommandation de ce dernier, récupérer un de ses vêtements de travail. Ceci devait lui permettre de mieux se fondre dans la foule et mener paisiblement ses enquêtes. Sur le chemin menant à l’hôtel Ivoire, il envoya un texto à son frère. Celui-ci répondit: « ils viennent d’emporter les corps, je t’attends à l’entrée des cuisines. » Soro Toxic remballa son téléphone et écrasa le champignon…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette oeuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur.« 

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 2

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 11, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 1: un couple, deux coups de feu, un crime horrible commis à l’hôtel Ivoire, un assassin seul dans sa voiture pleure des regrets, un policier lance l’enquête.

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancPlateau, commissariat du 1er arrondissement, deux heures environ après le crime…

De retour de l’hôtel Ivoire, l’inspecteur Kipré Bouazo s’isola dans son bureau, s’assit de façon pataude, alluma une mèche et aspira une grande bouffée de fumée qui le fit toussoter. Au dehors, l’orage lapidait de ses grosses gouttes furieuses les tôles du commissariat du 1er arrondissement. Il se leva pour observer ce déchaînement mélancolique de la nature et paraissait silencieusement y prendre goût. Sur les vitres mouillées et embuées de son office, il se projeta le film de tout ce qu’il avait vu et entendu lorsqu’on frappa à sa porte. « Chef c’est moi ! J’ai dans ce colis les photos du crime et l’identité des victimes. » Tout en rejetant nerveusement par ses narines la fumée de la cigarette, il fit signe d’entrer et indiqua à l’agent de police de déposer le paquet sur sa table. « Sandy dit-il, que penses-tu de ce cas ? » Après un raclement de gorge, sa collaboratrice lui répondit qu’a priori elle penchait pour la thèse d’un règlement de compte orchestré par des professionnels. Un léger sourire éclaira son visage. « Un règlement de compte, oui. Un règlement de compte orchestré par des professionnels, non. Nous sommes en présence d’un cas classique de crime passionnel. Cette histoire est très simple dans la mesure où nous devrions rapidement trouver l’assassin mais, elle se complique au niveau de l’impact social qu’aura la révélation de l’identité d’une des victimes. Sandy, vois-tu, je connaissais bien, et peut-être bien toi aussi, l’homme qui vient d’être abattu. »

Cocody, hôtel Ivoire, deux heures trente minutes après le crime…

Dans une aile du deuxième étage de la tour, un détachement de policiers poursuivait la récolte des témoignages. Plusieurs personnes qui prétendaient être des témoins de choix, donnaient des versions différentes et évidemment mensongères. Quand un proclamait que l’assassin avait crié « Marguerite tu es une femme morte! » c’est un autre qui affirmait avoir vu une sanglante bagarre entre l’assassin et ses deux victimes. Ce dernier jura même au policier qui l’interrogeait que « walaï patron ! Je te dis que c’est la femme qui est morte la première parce qu’elle donnait trop de violents coups de talons aiguilles à l’assassin. Il se devait de vite la tuer sinon elle aurait percé percer sa tête. » Un dernier, sûr de son propos, dit tout simplement aux flics: « çà là, ne cherchez plus hein ! Je vous dis que c’est une histoire de pédés, on les connaît à Abidjan ici. L’assassin, c’est un pédé jaloux de son pédé qui l’avait probablement abandonné pour cette femme. » Pauvres policiers qui devaient non seulement se dépêtrer des mensonges iniques rapportés par des quidams ne manquant aucune occasion de jouer les vedettes, mais devaient aussi leur interdire, sous la menace de représailles, de ne piper mot de ce massacre. Pendant ce temps, le réceptionniste avait été placé dans une cellule psychologique d’où, remis de ses émotions, il demanda à être conduit aux toilettes. Profitant d’un moment d’inattention de sa garde rapprochée, il poussa la porte des escaliers et les grimpa quatre à quatre jusqu’au sixième étage. Là, le souffle court, il composa rageusement un numéro. Il tournait sur lui-même, ne cessait de regarder en bas, en haut, à gauche, à droite et de dire : « allez ! Décroche vieux bouc de merde ». Quelques secondes plus tard, il entendit une voix grinçante et aigue dire : « allô ! »

Marcory zone 4, dans une boîte de nuit, deux heures trente cinq après le crime…

Soro Amadou Ghislain, un mec chétif au faciès d’hyène, la quarantaine largement dépassée, la barbe de trois jours élégamment entretenue, venait de siffler sa quatrième tournée de Jack Daniel’s quand son téléphone sonna. Sur l’écran, il vit le prénom de son frère clignoter et bougonna: « que me veut-il encore lui ? J’ai assez de problèmes pour qu’il vienne me demander de l’argent hein. »

Il répondit en utilisant ironiquement son pseudo de journaliste:

–          Allô! Soro Toxic au téléphone.

–          Cà tombe très bien même que je m’adresse au journaliste étant donné que j’ai un vrai scoop pour lui.

–          Ah bon ? Toi, un scoop pour moi ? Sérieusement ? Soro Toxic poussa un grand rire aigu. Son petit-frère Youssouf, un misérable petit réceptionniste dans un grand hôtel, avoir un scoop pour lui le grand journaliste d’investigation aux articles incisifs, haineux et calomnieux plusieurs fois primés parce que de qualité et révélateurs d’énormes scandales ? Il ne pouvait y croire. Habitué à ses éclats de rires railleurs, Youssouf l’interrompit :

–          Tu diras merci à ton petit-frère plus tard, mais pour l’instant écoute-le attentivement… Il y a eu un meurtre à l’hôtel Ivoire sous mes yeux. Je ne sais pas pourquoi mais les policiers m’ont demandé de ne rien révéler. En écoutant aux murs, j’ai entendu certains flics dire que leur chef, qui m’a interrogé, aurait déclaré que l’affaire était hautement sensible c’est pourquoi, il ne devait absolument pas y avoir de fuites. Et là, j’ai pensé que c’était une information exclusive qui devrait te plaire.

–          Sale menteur ! Je ne te crois guère.

–          Ok ! Dépêche-toi dans ce cas de ramener ton corps maigre et décharné à l’hôtel Ivoire pour vérifier. Vieux taré de saint-Thomas !

Le réceptionniste raccrocha, redescendit les escaliers à la même vitesse qu’il les avait montés, poussa lentement la porte des escaliers, s’assura qu’il n’y avait personne dans les environs puis fila comme un félin se réfugier aux toilettes d’où, il sortit en feignant d’être encore sous le choc du meurtre. Quant à Soro Toxic, une lueur effrayante traversa ses yeux. Il commanda et avala d’un trait sa cinquième tournée, se lécha les lèvres et poussa un rire des plus stridents qui effraya même les serveuses et les clients accoudés au bar. Sans conteste, la hyène venait de sentir la charogne de l’autre côté du pont Charles de Gaulle. Mais, une autre scène dramatique se jouait quelque part dans la forêt du banco. Sébastien Kouassi retournait le flingue contre lui et posait doucement le bout refroidi sur sa tempe droite. L’index tremblotant sur la gâchette, il inspirait profondément et fermait les yeux. De ses paupières closes, s’échappaient des larmes qui, telles des laves en fusion, creusaient dans sa poitrine des sillons brûlants de remords…

Riviera palmeraie, dans une grande maison cossue, seize heures avant le crime…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette oeuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur.« 

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 1

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 11, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancCocody, hôtel Ivoire, trente minutes après le crime…

Monsieur l’inspecteur, c’était comme dans un rêve, comme dans un mauvais rêve, je peux vous assurer. J’étais comme d’habitude à mon poste derrière le comptoir de la réception quand un couple, visiblement amoureux, pénétra en courant dans l’hôtel pour se protéger de la pluie torrentielle au dehors et vint me demander une chambre pour la nuit. Ils restèrent là, debouts devant moi, à attendre que je leur tende les formulaires à remplir. La femme se penchait sur l’homme pour le caresser ou lui mordiller tour à tour les deux oreilles. L’homme, gêné, tentait de contenir et repousser ses assauts en lui murmurant: « un peu de retenue Cécilia, quelqu’un pourrait nous voir, tu sais qu’Abidjan est petit. » Il devait être 23 heures 20 ou 25, je ne sais plus. Quelques cinq minutes plus tard, un individu, la tête recouverte par la capuche d’un ciré bleu foncé et portant un pantalon blanc mangé par la boue, fit irruption dans l’enceinte de l’hôtel pendant que le couple remplissait les documents. Il dégaina une arme à feu. Je me cachai sous le comptoir et j’entendis deux retentissants coups de feu.

L’inspecteur Kipré Bouazo nota fidèlement le témoignage du réceptionniste choqué de l’hôtel Ivoire. Juste lui posa-t-il une question: « vous n’avez pas pu voir son visage, pouvez-vous cependant donner une estimation de sa taille? » Celui-ci lui répondit que l’assassin masqué devait mesurer au moins 1.90 mètres et presque comme un robot, il ajouta que « l’assassin a dit Cécilia tu es mon seul et unique bien sur terre comme en enfer.» A côté d’eux, les techniciens des scènes de crime s’employaient à baliser la zone et à commencer leur collecte minutieuse d’indices. L’inspecteur ordonna à ses agents de poursuivre l’interrogatoire des personnes présentes et d’empêcher toute divulgation dans la presse. Il se saisit d’un talkie-walkie, le cala sur la fréquence cryptée de la police nationale et y fournit toutes les descriptions physiques de l’individu à rechercher. Il y rappela encore l’exigence de discrétion absolue et sur ce, il se rendit au commissariat central du Plateau.

Yopougon, forêt du banco, une heure environ après le crime…

Une voiture s’enfonce dans l’obscurité angoissante de la forêt du banco. Elle s’arrête près d’un buisson le moteur toujours en marche et les phares allumés. La pluie qui tombe ce jour, redouble d’intensité et donne du fil à retordre aux essuie-glaces. A l’intérieur du véhicule, un homme nettoie avec fébrilité ses habits. Il a des tâches de sang partout sur lui et tente vainement de les faire disparaître mais, plus ses mains s’activent plus les tâches se transforment en une peinture glauque, vague et indélébile. Il hurle et pleure à en devenir débile. Il ouvre son coffre à gant, se saisit d’un stylo et d’un carnet puis se met à écrire de manière furieuse, brouillonne et prolifique :

« Je m’appelle Sébastien Kouassi, je ne me souviens plus quand avec précision, mais je sais que tout a commencé il y a trois mois, une nuit d’une chaleur infernale où je n’arrivais pas à dormir. S’il ne s’agissait que de cette chaleur étouffante, j’aurai vite trouvé le sommeil sans souci. Mais, il devait être trois heures du matin et de ma fenêtre ouverte, j’entendais, provenant du parking juste en bas, le ronronnement silencieux mais dérangeant d’un moteur de voiture. Qui pouvait bien à cette heure se foutre du sommeil des gens? C’est pourquoi, je me levai et marchai à tâtons jusqu’à ma fenêtre pour voir le perturbateur. Au même moment, une ombre embrassa à pleine bouche une autre puis sortit de l’automobile en toute vitesse. J’entendis une voix étouffée qui tentait de rattraper ce fantôme par un « reviens je t’en prie! Reste encore un peu. » Je venais de voir pour la première fois ma femme, Cécilia Kablan, dans une situation adultérine. Pourtant, ce jour, elle m’avait prévenu qu’elle partait assister à des veillées funèbres. Non! Non! Et non! Ce ne pouvait pas être elle, je ne pouvais pas y croire. Ma femme était une parfaite épouse, nous gagnions de modestes revenus néanmoins tout allait bien pour nous. Notre fille venait de célébrer son premier anniversaire et moi mes trente ans. Cécilia était dans sa vingt-huitième année et venait d’obtenir un premier emploi comme assistante de direction dans une compagnie d’assurances. Moi, je suis conseiller-clientèle dans une compagnie téléphonique. Nous n’étions pas encore mariés mais les démarches traditionnelles étaient déjà entamées. Ce beau décor n’allait pas être perturbé par une vision dont, en fin de compte, je n’étais plus sûr. C’est pourquoi, je fis comme si cette scène n’avait jamais existé… »

A ce niveau de sa rédaction, Sébastien revit la tête de Cécilia et le feu de l’impact. Il n’en revenait pas, il l’avait fait. C’était un mauvais rêve à coup sûr. Il tressaillit en entendant la forte déflagration retentir dans son cerveau. Tout était allé si vite, juste une parole et deux trépas…

Plateau, commissariat du 1er arrondissement, deux heures environ après le crime…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette oeuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur.«