Précédemment dans le chapitre 2: l’inspecteur Kipré Bouazo se montrait perplexe dans le début de cette enquête. Il avait bien raison car un journaliste dérangeant, Soro Toxic, venait de renifler l’odeur d’un scoop.
Riviera palmeraie, dans une grande maison cossue, seize heures avant le crime…
Un homme, la cinquantaine récemment atteinte, fait l’amour dans un grand lit vide. Il gémit, parle avec douceur à une femme imaginaire, caresse ses draps et embrasse son traversin. La scène est drôle et mériterait d’être filmée afin d’être partagée sur tous les réseaux sociaux. Mais, debout devant son lit, une épouse choquée regarde son mari se tortiller comme un vers. Ce n’était pas nouveau de le voir dans une crise de somnambulisme, mais c’était la première fois qu’elle assistait à une crise de somnambulisme pornographique. Une main, comme les pales d’un hélicoptère s’éleva dans les airs et une monumentale claque vint s’abattre sur Kobo Jules-Sésar, le ramenant du septième ciel à la terre ferme. Dans un état d’hébétement, il vit sa femme, l’ire sur le visage et les bras sur les hanches, remuer ses lèvres avec véhémence. Lui, n’entendait que des hurlements vaporeux comme si pendant qu’elle lui gueulait dessus, un tortionnaire lui maintenait la tête sous l’eau. Une deuxième claque administrée à la vitesse de l’éclair lui déboucha les oreilles. « Tu n’es qu’un bon à rien ! Un vieux goujat irresponsable ! » Il voulut placer un « chérie » mais un index vif et brusque l’interrompit sans autre forme de procès. Madame Kobo Mariam née Diakité Madjara Mariam, une belle femme, de petite taille, ronde, un visage poupin dans lequel s’enfonçaient de magnifiques yeux en forme d’amande, indiqua à son époux qu’il était 07 heures 30 du matin et qu’il embauchait dans trente minutes. Il se leva et lui rétorqua que le retard d’un président-directeur général n’avait jamais tué personne et que c’était même le contraire qui était une agression psychologique pour les salariés.
– Je me fiche pas mal de qui tu es. Je sais deux choses: d’une part tu es mon mari et d’autre part, pour moi, à cause de tes responsabilités, tu dois être le premier à donner l’exemple. Son mari, contrarié, lui indiqua qu’il n’était pas un enfant que l’on dirige comme un pantin et la mit définitivement en garde.
– La prochaine fois, mes poings répondront de manière disproportionnée à tes sauvageries injustifiées.
– Essaie seulement une fois pour voir. Ton cœur est mince ! Comme ta pééétasse de Cécilia dont tu ne cessais de répéter le prénom dans ton rêve érotique ne peut ou ne veut rien dire à tes paresses, tu penses que toutes les femmes sont pareilles. » Jules-Sésar fut cloué par la répartie vindicative et caustique de sa femme. Il se rendit compte que même si Mariam était une femme d’âge mûr, qui avait de grandes responsabilités en tant que directrice marketing d’une multinationale agroalimentaire, coulait aussi dans ses veines la violente effronterie des petites filles dioula de Côte-d’Ivoire dont nul ne savait désormais si c’était un cliché ou une réalité.
Elle fit une moue de dédain ponctué d’un « regardez-le avec ses boules à l’air » dit sur un ton agressif et persifleur comme seules les femmes ivoiriennes savent le faire. Elle s’approcha de son mari, se dressa sur la pointe de ses pieds, planta profondément son regard dans le sien et lui tapota le front avec son index droit.
– Écoute-moi bien ! Toi ! Ecoute-moi trèèès bien ! Jamais tu ne seras un paresseux à mes côtés. De surcroît, sache que, je tolère tes adultères virtuels mais si j’apprends qu’une Cécilia, une Natogoma, une Aurélia, une Rama ou une je ne sais quoi de Déborah ou Fatoumata existe pour de vrai, je te brise les couilles et te fait bouffer ton pénis que j’aurai d’abord découpé puis grillé au barbecue, me comprends-tu? » Elle prononça cette menace en saisissant et pressant violemment les testicules de son époux. Celui-ci ne montra aucun signe de douleur et dans un flegme déboussolant lui dit: « écraser mes bourses ne me fera pas… » Il n’eut pas fini tout son propos que sa femme le tenait déjà dans une fellation bruyante.
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Plateau, centre des affaires, quatorze heures avant le crime…
Le tintement de l’ampoule de l’ascenseur de l’immeuble Le Djékanou signala qu’on venait d’arriver au huitième étage. Kobo Jules-Sésar en sortit pianotant un texto sur son Vertu Ascent Ferrari 1947 payé dix-huit mille euros le mois dernier lors d’un voyage d’affaires à Monaco. Il lança un « bonjour » à l’ensemble de ses salariés depuis longtemps plongés dans leur boulot puis, s’enferma dans son bureau. Il déblaya sa table, y tendit ses jambes puis, les mains croisés derrière sa nuque, riva ses yeux sur la photo encadrée où il était avec le Président de la République lors de la remise des « Africa business awards 2008 ». Là, il laissa planer son esprit dans la pièce. Dix minutes plus tard, sa secrétaire lui apporta son café et une pile de journaux parus ce jour. Elle referma très lentement la porte scrutant l’attitude désinvolte et inédite de son patron. Elle en était sûre et certaine, celui-ci était contaminé par la « vendredite » galopante parmi les salariés du cabinet. Une fois la porte refermée, KJS, comme ses amis l’appelaient, récupéra son téléphone dans une poche intérieure de sa veste et fit défiler le menu jusqu’à messages reçus. Un éclair d’amour illumina ses yeux quand il tomba sur ce message: « ce vendredi soir mon cœur n’oublie pas que tu m’as promis un romantique restaurant car moi je n’oublierai pas de corriger ton analphabétisme sexuel hi hi hi…Cécilia ta tigresse adorée qui te croquera d’amour ». Aussitôt, il se souvint de la réponse qu’il avait finie de rédiger dès sa sortie de l’ascenseur: « ma délicieuse cannelle, j’ai une table réservée « au Gibier » et je viendrai avec mon cartable d’écolier rempli de fournitures scolaires. Rdv devant le restau à 19 heures 45. KJS » Il rangea son téléphone, eu une longue pensée coupable pour son épouse, s’imagina en premier lieu les couilles réduites en bouillie et, en second lieu, ligoté et forcé à bouffer son truc, braisé comme un poisson. Un spasme de dégoût le transperça. Il plongea immédiatement dans ses dossiers pour oublier.
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Marcory, Boulevard Valéry Giscard d’Estaing, chez un opérateur de téléphonie mobile, treize heures avant le crime…
Serges Boli est un commercial dynamique. D’après les résultats des ventes, il est le deuxième meilleur vendeur juste derrière son ami Sébastien Kouassi. D’ailleurs, en guise de récompense, la Direction leur a promis une prochaine promotion. Serges rentre dans le bureau de Sébastien et le voit atterré. La cravate dénouée et la chemise défaite, ce dernier pleure. Serges, étonné, accourt près de son ami et l’interroge sur le pourquoi de cet état. Au milieu de ses sanglots, ce dernier promet qu’il se suicidera, qu’il la tuera, qu’il se suicidera, qu’il se suicidera parce que vivre avec çà n’est plus possible pour lui.
Serges Boli ferma la porte, revint vers son pote.
– Djo Sébinho ya quoi ? interrogea-t-il très inquiet. Sébastien Kouassi releva la tête, essuya ses larmes et renifla fortement une grosse morve qui tentait de s’échapper pour ajouter une touche comique à la situation douloureuse qu’il vivait. Il l’avala sans gêne. Gleurp!
– Je t’ai dit que depuis trois mois c’est bizarre entre Cécilia et moi. Elle garde constamment son téléphone auprès d’elle. Je me doutais qu’elle me cachait des choses donc j’ai téléchargé un logiciel de piratage des sms. Papa, je te laisse lire les messages.
Sébastien Kouassi s’effondra à nouveau en pleurs…
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Adjamé-220 logements, pas très loin de Fraternité-Matin, trois heures après le crime…
Soro Toxic était passé au domicile de son frère, sur recommandation de ce dernier, récupérer un de ses vêtements de travail. Ceci devait lui permettre de mieux se fondre dans la foule et mener paisiblement ses enquêtes. Sur le chemin menant à l’hôtel Ivoire, il envoya un texto à son frère. Celui-ci répondit: « ils viennent d’emporter les corps, je t’attends à l’entrée des cuisines. » Soro Toxic remballa son téléphone et écrasa le champignon…
(à suivre)
Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.
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