Je ne pouvais faire comme si…chapitre 12

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on décembre 19, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 11: Cruel est le destin et nul ne peut y échapper pensa l’inspecteur Kipré Bouazo juste avant que ce bolide le percute de plein fouet. Le destin, ce marionnettiste fou, tirait les ficelles de l’acte final. Nous voici à l’instant « t » du crime…

Cocody, hôtel Ivoire, deux amoureux devant un réceptionniste, à l’instant « t » du crime…

Pendant qu’il remplissait une paperasse insignifiante, Kobo Jules-Sésar demanda au réceptionniste qu’il semblait connaître :

–    Ils sont là ?

–    Ils vous attendent impatiemment monsieur, répondit l’employé de l’hôtel. Vous verrez monsieur, reprit-il, nous avons concocté un de ces décors inoubliables dans votre suite.

Jules-Sésar releva la tête, ils sourirent puis échangèrent un clin d’œil amusé, complice.  Pour qui bénéficie des largesses et indulgences de la vie, il ne faut jamais éviter de donner la pièce aux garçons de café, de restaurant, aux chauffeurs de taxi, au petit personnel et, Jules-Sésar se fendit d’un généreux pourboire à l’hôte d’accueil. A ce moment, tous deux entendirent une parole qui résonnait comme un testament.

–    Cécilia Kablan, tu es mon seul et unique bien sur terre comme en enfer, vociféra un inconnu.

Jules-Sésar, le sang glacé, se retourna pour voir.

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ![1] »

Dix secondes avant la fin de tout, le temps, suspendu. Plus rien ne bougeait, plus rien ne respirait, plus rien ne faisait rien, quelqu’un avait appuyé sur le bouton Stop de la télécommande de la Vie. Dans ce décor figé, Jules-Sésar fronça les sourcils et distingua une ombre à l’entrée de l’hôtel, « mais que fait-elle là-bas dans ce coin ? » s’interrogea-t-il. Réponse : ce même quelqu’un appuya sur le bouton Play de la télécommande de la Vie, tout se mut à nouveau, tout reprit sa respiration et, après ces dix secondes, une double déflagration : bang ! Bang !

Kobo Jules-Sésar s’était retourné pour la voir, la mort…

Cocody, hôtel Ivoire, deux amoureux devant un réceptionniste, à l’instant « t » du crime…

Pendant que Jules-Sésar remplissait une paperasse insignifiante, Cécilia s’amusait à faire glisser de peu discrètes câlineries sensuelles sur son cou, ses oreilles, son ventre. Lui, visiblement dans l’embarras, contenait difficilement tous les haut-le-corps réveillés par ses caresses délicates.

–    Un peu de retenue Cécilia, quelqu’un pourrait nous voir tu sais qu’Abidjan est petit, fit-il mine de protester.

–    Depuis longtemps sachez-le, cher monsieur je-veux-tromper-ma-femme-sans-me-faire-choper, nous avons été démasqués, dit-elle un brin moqueuse. Qui te dit que parmi les gens dans ce hall, personne ne t’a reconnu ? Hein ? Qui te dit que ce monsieur – Youssouf Soro indiqua-t-elle après une légère inclinaison de la tête pour lire les nom et prénom accrochés à l’uniforme de l’homme – en face de nous, n’ira pas cracher le morceau dans un de ces tabloïds people comme Top Visages[2] ? Hein ? Qui te dit ?

Tous deux jetèrent un regard inquisiteur et réprobateur sur le pauvre réceptionniste qui tendait la main pour recevoir les cinq billets de dix mille francs CFA en guise de dringuelle[3]. Celui-ci les regarda niaisement avec un véritable sourire d’abruti barrant son visage. Jules-Sésar fit semblant de se rétracter et de remettre l’argent dans sa poche.

–    Impossible madame, chuchota le réceptionniste en ravalant sa salive. Je suis comme un cimetière où viennent se reposer pour l’éternité des millions de secrets.

A ce moment, tous les trois entendirent une parole qui résonnait comme un testament.

–    Cécilia Kablan, tu es mon seul et unique bien sur terre comme en enfer, vociféra un inconnu.

Cécilia, terrifiée, ayant reconnu ce timbre vocal-là, se retourna pour savoir.

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : laissez-nous savourer les rapides délices des plus beaux de nos jours ! »

Dix secondes avant la fin de tout, le temps, suspendu. Plus rien ne bougeait, plus rien ne respirait, plus rien ne faisait rien, quelqu’un avait appuyé sur le bouton Stop de la télécommande de la Vie. Les draps noirs de la mélancolie, enveloppèrent deux êtres promis à l’amour, les isolant du reste de la foule dans une espèce affolante de troisième dimension où des éclairs de questions et d’aveux passaient dans le champ électromagnétique de leurs yeux, comme les ondes invisibles des antennes-relais postées sur la plupart des grands immeubles abidjanais. « Sébastien, comment a-t-il su ? ». Réponse : ce même quelqu’un appuya sur le bouton Play de la télécommande de la Vie, tout se mut à nouveau, tout reprit sa respiration et, après ces dix secondes, une double déflagration : bang ! Bang !

Cécilia Kablan s’était retournée pour savoir, savoir que la trahison a un prix : bang ! Bang ! son amour Sébastien Kouassi venait de la descendre et s’enfuyait…

♦♦♦

Yopougon, dans la forêt du banco, quatre heures et bientôt quinze minutes après le crime…

Ses pensées secouées dans tous les sens comme un navire balloté dans une tempête, Sébastien Kouassi, prostré dans sa voiture, pleurait. Les notes mineures de « Lost without you » de Robin Thicke, comme des décharges de chevrotines, achevaient de cribler un cœur ravagé par la peine. Il devait terminer son « testament », sa main tremblotante se saisit du stylo.

« Cécilia,

Là où tu es, peux-tu m’entendre ? Oui, je sais que tu m’entends, écoute çà du moins lis çà. J’ai tué La Camerounaise, j’ai tué ce monsieur qui de toute évidence était ce minable KJS et je t’ai tuée, bébé. Quelques minutes après que vous ayez quittés cette Jaguar, je vous ai suivis, comme un félin. Dans l’escalier souterrain qui menait au hall de l’hôtel, cette bonne femme m’a dépassé, je l’ai vue vous observer curieusement et se caler dans un coin à attendre. Attendre quoi ? Je ne sais pas. Je n’ai pas voulu te tuer même si je te maudissais quand, depuis notre voiture, je te voyais faire des conneries avec cet homme. Mais, quand j’ai dit : « Cécilia Kablan, tu es mon seul et unique bien sur terre comme en enfer », je n’ai pas supporté que ce con de KJS te tire vers lui comme pour te protéger. Te protéger de quoi ? De moi ? Voulait-il par ce geste te dire qu’il t’aimait plus que moi, qu’il te préserverait plus que moi de tous dangers ? Pour qui se prenait-il ? Je n’ai pas supporté ce nouveau vol, ce nouveau viol, je vous ai grillés.

Cécilia, as-tu senti cette douleur dans mon regard ? Cécilia, as-tu palpé ma douleur dans l’écoulement fugace de ces secondes ? Cécilia, as-tu seulement pu sentir une seule fois cette douleur lancinante qui brûle tout mon corps, qui me consume et me réduit en cendres comme une feuille dévorée par les morsures du feu ? Cécilia, aurais-tu pu vivre longtemps avec cette terrible douleur qui réussit le tour de force de n’être nulle part en particulier mais s’infiltre comme un fourmillement incommodant partout où je peux ressentir quelque chose ? Cette douleur qui mange l’innocence de l’âme amoureuse comme un bahéfouê[4], est-ce donc çà la douleur acide, piquante et insupportable que ressentent les hommes et femmes trompées, cocufiées, humiliées ? Je me sens seul, je suis un mort-debout. Cécilia avant de t’abattre, c’est toi qui m’as flingué en premier. Je suis mort le jour où dans ton téléphone portable j’ai tout découvert.  Et dans l’escalier souterrain, crois-moi, j’ai déchiffré dans les yeux de cette femme inconnue, la même détresse funeste.

Après vos deux meurtres, rendu fou par ce sang qui avait giclé sur mon visage et mes vêtements, j’ai couru sous cette pluie déchaînée jusqu’à la voiture. La femme inconnue du hall de la tour de l’hôtel Ivoire se tenait comme un zombie devant la portière, me tenant en respect avec un pistolet aussi gros que le mien. Le déluge plaquait sa robe sur son corps de femme mature, ses larmes se mêlaient aux gouttes d’eau qui ricochaient sur ses lèvres et la pointe de ses seins. Elle était petite, belle, la tristesse scintillant dans un regard de braise. Sous cette averse, elle me dit : « je m’appelle madame Kobo Madjara Mariam. Je sais depuis trois mois que mon mari, Kobo Jules-Sésar, a une aventure et incognito, je le suivais comme une détective. Aujourd’hui à son réveil, je l’ai menacé en feignant de ne pas connaître l’existence de cette femme, Cécilia[5]. Je sais tout d’elle : son emploi trouvé par mon mari dans une compagnie d’assurances, sa vie de famille parfaite avec vous, sa double vie mensongère de prostituée dans cette agence « Africa Event » tenue par cette soi-disant directrice de communication, Edith Likane Séry. Je sais, après recoupement des textos, des appels et des mails envoyés par mon époux, que c’était elle, La Camerounaise. Je sais tout de cette histoire je vous dis. Si vous ne l’aviez pas fait, j’aurai accompli ce double meurtre dans l’hôtel. Dois-je vous tirer mon chapeau ? Je ne sais pas. Que faisons-nous à présent ? Je ne sais pas. A quoi nous accrocherons-nous maintenant ? Je ne sais plus, je n’ai pas d’enfant et vous, une petite fille vous attend. Vous avez tué votre femme et mon mari, il ne me reste plus rien, il ne me reste plus rien à attendre de la vie, il ne me reste plus rien à espérer de l’amour que… »

Cécilia, cette femme désespérée retourna son arme contre elle aussi vite que la balle expéditive qui explosa dans sa bouche, paw ! Son sang sur la voiture, je me tins coi, horrifié. Trois morts pour deux. Je grimpai dans la Toyota Carina pour m’éloigner de cet endroit maudit, roulant sur ce macchabée couché au pied de la voiture. Tout çà à cause de toi, femme infidèle… »

♦♦♦

Les chauves-souris se dirigent en émettant des ultrasons qui leur permettent de repérer et éviter les obstacles. Pourquoi alors cette colonie de chauves-souris vint se crasher sur le pare-brise de la Toyota Carina ? Sébastien poussa de longues minutes durant un hurlement d’effroi, lançant des ruades contre un ennemi déjà mort de n’avoir pas su bien se guider, balançant son stylo comme un javelot sur les ailes écrabouillées de ces animaux. Il retrouva progressivement son calme, crut dur comme fer à des signes prémonitoires, ramassa craintivement le stylo – sait-on jamais s’il ne se transformât en akpani[6] sanguinaire – et repartit dans ses confidences.

♦♦♦

« Cécilia, pourtant je t’aimais, n’klôli wô[7], i tou mi fè diarabi[8], beugone nala[9] comme chante tous les jours ta copine sénégalaise Ramatou. Si je savais dire « je t’aimais » dans toutes les langues du monde, je te l’aurai dit ici. Te souviens-tu de la première fois, de la première fois que nous nous vîmes ?

Cécilia, moi je n’ai rien oublié car c’était le 24 novembre 2000. Le 24 novembre 2000[10], Laurent Gbagbo appelait les Ivoiriens à descendre dans la rue pour protester contre les fraudes électorales orchestrées par le général Guéï Robert. Je me souviens avoir bien entendu à la radio : « le pouvoir est dans la rue, allez le conquérir. » Aussitôt, la déferlante d’une marée humaine sur le boulevard Latrille en direction de la RTI[11]. J’étais chez mon oncle aux Deux Plateaux non loin du supermarché Sococé. Avec mon frère, le rondouillet Gary – tu l’appelais Garyton-le photographe à cause de sa passion pour les appareils photos numériques – nous partîmes emportés par ce cortège pour écrire une page de l’histoire de la Côte-d’Ivoire. Cependant, Gary, plus prudent, renonça à cette aventure périlleuse. Peu importe, çà m’arrangeait, un souci en moins. Dans le creux de la route juste après le carrefour des 198 logements avant La Cité des Arts[12], une barrière de jeeps de l’armée en faction devant le sinistre « carrefour de la mort »,  nous boucha le passage. Nous reconnûmes le tristement célèbre Boka Yapi, homme de main du général Guéï, en tenue de combat, posté sur un véhicule tel Marianne brandissant le drapeau de la révolution française. Sans sommation, un obus lancé, deux obus lancés, trois obus lancés, des rafales de mitraillettes, des détonations de fusils, un mort, deux morts, des dizaines de morts, des hommes et femmes qui tombaient comme les cibles en papier d’un parcours de tirs, des pleurs, des cris, des cris fusant dans tous les sens, la débandade dans la pagaille et ces jeeps qui foncèrent pour nous écraser.

Cécilia, je galopais plus vite qu’un cheval évitant les obstacles humains comme un running-back[13] de football américain. J’ai dû certainement battre le record du monde de Cocody entre le carrefour des 198 logements et l’église Saint-Jacques des Deux Plateaux. Mais, la mort à mes trousses filait comme une Lamborghini et me rattrapait comme Usain Bolt. A la hauteur de l’église, je plongeai comme un nageur dans un de ces caniveaux creusés tout le long du Latrille. Un tir se perdit dans le talus juste au-dessus. Les militaires sautèrent de leur jeep, me retrouvèrent, me rossèrent avec leur matraque du mieux qu’ils purent. Les dents serrées, je résistai à cette vague de brutalité.

Je me devais de résister pour dire merci à Dieu que ces hommes armés ne m’aient point abattu. Je me devais de résister sans bouger ni me protéger parce que sous moi, il y avait quelqu’un, il y avait une magnifique fille, il y avait toi, Cécilia. Ces soldats ne t’avaient pas vue. Depuis belle lurette planquée là, je t’avais recouverte comme un linceul après mon saut de l’ange dans cette rigole. Mon amour, j’ai tout encaissé pour toi sans broncher. Pour oublier le mal qui me brisait les vertèbres, chérie,  je m’imaginai paradoxalement en train de te faire l’amour. Je prenais possession de ton corps aussi sauvagement que cet orage de coups de matraque. Je t’embrassais puis suçais tes lèvres comme un affamé arrache de ses dents la peau d’une mangue mûre et se pourlèche ses lèvres salies par le jus qui coule. Ma langue se promenait sur tes seins comme un enfant promène la sienne dans un pot de yaourt vidé. Je battais la peau tendue de tes fesses comme un joueur de tam-tam exalté. Je dépensais toute mon énergie dans le jardin de tes jambes comme un cultivateur baoulé laboure la terre pour faire des buttes d’ignames. Et toi, sous moi, importunée par cette érection pressant ton ventre, tu as tenu, tu as résisté, muette, parce qu’il y allait de nos deux vies. Une scène – comment dire? – insensée. Je comprends que tu aies tenu à rappeler cet épisode cocasse dans le second paragraphe de ta lettre à La Camerounaise.[14]

Evanoui après ce tabassage, les militaires m’ont laissé pour mort. Tu as attendu mon réveil, tu m’as ramené chez moi, nous n’avons plus cessé de nous fréquenter amicalement jusqu’à ce 14 février 2002 où, du sadisme le plus fruste a jailli comme dans un puits de pétrole le torrent de notre amour pour le meilleur et le pire. Et le meilleur, c’était avant, et le pire, c’est aujourd’hui. Et aujourd’hui, je me suiciderai comme cette madame Kobo Mariam à qui j’ai tout pris mais, qui se préparait à tout me prendre. Je me suiciderai parce que c’est çà le vrai courage, c’est çà l’acte ultime et merveilleux de l’amour devenu impossible à vivre.

Je t’aimais Cécilia, j’aimais notre fille, j’aimais notre famille.

Je t’aimais Cécilia…

…Ton homme pour l’éternité, Sébastien Kouassi »

Il plia soigneusement les feuilles de son « testament », sortit de sa caisse pour ôter ses vêtements du pot d’échappement car çà n’aurait servi à rien, se saisit d’un long tuyau d’arrosage dans son coffre qu’il relia du pot d’échappement à l’habitacle de sa voiture, remonta sa vitre jusqu’à coincer le tube et démarra le moteur de sa voiture. Un tueur silencieux, le monoxyde de carbone, s’infiltra doucement dans l’automobile comme un dangereux serpent prédateur, la langue fourchue à l’air, zigzague dans la broussaille. Au bout de quelques minutes, Sébastien eut de violents maux de tête, fut pris de vertiges. La frousse de mourir apparut, il tenta de tirer le loquet mais, tirer le loquet de la portière signifiait vivre, non ! Vivre ? C’était trop lâche pour un assassin pensa-t-il. Sa main, résignée, quitta la petite barre mobile. La mort est le salaire de la passion amoureuse flouée et lui ne devait en aucun cas y déroger. Il suffoquait, se tenait la gorge à deux mains, bavait comme un chien enragé, ses yeux hors de leur orbite comme les yeux de têtards écrasés faisaient peur à voir, ses muscles ne répondaient plus, il perdit connaissance, le coma, le bruit aigu et continu d’une tonalité d’électrocardioscope. Plongé dans cette noirceur, il marchait vers une lumière blanche d’où il entendait des cris joyeux de bambins. Il arriva à la frontière entre cette obscurité et cette blancheur, ce point de non retour. Il vit Cécilia, Jules-Sésar et une multitude d’enfants, heureux, tous lui tendaient les mains : la fin…

♦♦♦

Deux Plateaux, au troisième étage d’un immeuble près du commissariat du 12ème arrondissement, il est six heures et demie du matin…

Un Ivoirien sur trois est un ronfleur[15]. Mais ce ronfleur ne sait pas que l’apnée obstructive du sommeil se caractérise par un ronflement intense ponctué d’arrêts respiratoires complets ou partiels. Ce syndrome s’il n’est pas décelé et soigné est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires.

Mais, Sébastien Kouassi le sait depuis que cette maladie a emporté son père dans un accident vasculaire cérébral le jour de ces 15 ans. Beaucoup de personnes avaient dit que la mort de son père, dans son sommeil, était due aux sorciers puisqu’il était impossible, qu’un homme de 60 ans bien portant, légèrement ronfleur, meurt ainsi. Adulte, un de ses oncles médecins lui avait dit soupçonner l’origine du décès de son père aussi lui recommanda-t-il vivement de faire des examens idoines. Ainsi prévenu, Sébastien Kouassi, traumatisé, se refusa malgré tout à toute consultation.

Cécilia Kablan dormait très mal, gênée par les ronflements bruyants comme un moteur de tracteur de son chéri. Puis avec le temps, s’étant habituée, ces derniers se transformèrent en berceuse. Mais dans cette aube naissante, Sébastien ronflait bizarrement comme le bruit des ratés du moteur d’une pirogue avikam de Grand-Lahou[16].  Elle se réveilla en sursaut, vit sa langue qui pendait, le secoua et lui administra des claques comme Obélix sur les Romains jusqu’à ce qu’il revienne à lui, dans une longue inspiration tirée à pleins poumons.

–    Chérie, es-tu morte ? Sommes-nous au paradis mon bébé ? Cécilia m’as-tu déjà trompé ? Tu as un amant n’est-ce pas ? questionna-t-il le regard perdu sur le visage de sa femme, souriant béatement comme s’il voyait un ange.

–    Je n’ai pas d’amant, je ne t’ai jamais trompé, tu n’es pas au paradis mais dans notre lit d’amour et, je suis plus vivante encore que la gifle que tu vas recevoir tout de suite, dit-elle énervée, enchaînant avec la plus monumentale gifle qu’il reçut de sa vie.

Et, Sébastien Kouassi se réveilla pour de bon, debout sur son lit, une érection matinale dressée comme un piquet…

Deux Plateaux, au troisième étage d’un immeuble près du commissariat du 12ème arrondissement, il est seize heures quarante-cinq de l’après-midi…

« Samedi 14 février 2009,

Il est 17 heures moins quinze minutes à Abidjan Cocody les Deux Plateaux.

Je m’appelle Sébastien Kouassi, j’ai trente-deux ans et je suis conseiller-clientèle chez un opérateur téléphonique. J’ai piqué une sévère crise d’apnée obstructive du sommeil mêlée à un rêve, un mauvais rêve, un thriller politico-policier affreux, un rêve pénible de science-fiction, une pitoyable fausse tragédie amoureuse. Bref, un cauchemar dont j’ai tenté de me souvenir et de vous retranscrire fidèlement les actions et déplacements. Tous ces personnages existent mais je ne les connais pas, je ne les côtoie même pas, sauf ma chérie Cécilia, mon ami Serges Boli et ce chien dégueulasse qui dort tous les soirs à côté de ma voiture. Comment ai-je pu les intégrer, tous, dans ce cauchemar ? Comment par ailleurs j’ai pu vivre dans un immeuble de la Résidence Paillet alors que je suis dans un appartement des Deux Plateaux? Il nous arrive bien des fois de voir des personnes inconnues dans nos rêves et de vivre avec elles. Par exemple, il n’y a pas longtemps, je mangeais avec tous les Présidents du monde et ils me faisaient des tapes amicales dans le dos à cause de ma brillante élection à la présidence de la république de Sébastianie, surtout le petit Nicolas Sarkozy. Encore un rêve de fou !

Sans mon épouse, Cécilia, bientôt 30 ans, je ne serai peut-être pas ici à écrire ce début de journal. Elle m’a sauvé et, je ne peux faire comme si ce cauchemar n’était pas une alerte divine. C’est décidé, je vais me soigner.

Mais ce qui m’a conduit à écrire ce petit journal, c’est ce texto reçu à 13 heures 22, pendant que ma femme et moi nous nous attablions. Lisez-moi çà : « ce samedi soir, jour de Saint-Valentin, mon cœur, n’oublie pas que tu m’as promis un romantique restaurant parce que moi, je n’oublierai pas de te fatiguer au lit comme tu le mérites hi hi hi… Paty ta tigresse bété. »

Les voies utilisées par Dieu pour nous parler sont si explicites pour qui se pique de les déchiffrer. Et moi, ma mère m’a toujours dit que les songes – rêve ou cauchemar – sont les voies privilégiées de Dieu. Avec toutes les angoisses et mésaventures que j’ai vécues dans ce mauvais rêve, je ne pouvais faire comme si celui-ci n’était pas un ordre divin me commandant de ranger ma vie et d’arrêter de tromper cette merveille qu’est ma femme, Cécilia Kablan.

Je le dis dans l’intimité de ce journal de même qu’à vous, fantômes curieux qui êtes en train de lire par dessus mon épaule que : à 17 heures 10 ou 15 à tout casser, je vais rompre avec Patricia Nadré Lago, ma maîtresse. Obligé !

Ce sera tendu pour elle mais, que voulez-vous, c’est le temps du changement. C’est comme çà !

Sinon entre nous, se détacher d’une tigresse bété sans égratignure, çà va être dur…

J’ai peur !

…Sébastien »

♦♦♦

The end

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Il faut rendre à Alphonse de Lamartine (1790-1869) ce qui lui appartient. C’est une strophe de son poème Le lac lui-même tiré de son recueil « Les Méditations poétiques ». Pour ceux qui sont intéressés vous pouvez consulter ce poème sur ce site : http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/alphonse_de_lamartine/le_lac.html. Et pour ceux qui connaissent ou ne connaissent pas l’auteur et qui veulent le (re)découvrir, vous pouvez vous rendre sur ce site : http://damienbe.chez.com/biolam.htm.

[2] Top Visages est le magazine people ivoirien par excellence. Pour ceux qui sont avides d’infos people en Côte-d’Ivoire, vous pouvez cliquer sur ce lien : http://topvisages.net.

[3] La dringuelle est le nom donné au pourboire en Belgique.

[4] Bahéfouê est un mot de l’ethnie baoulé qui désigne les méchants sorciers mangeurs d’âmes.

[5] Voir le chapitre 3 de l’histoire où, cette femme regardait stupéfaite son mari dans une crise inédite de somnambulisme pornographique.

[6] Un akpani est l’appellation en nouchi de la chauve-souris.

[7] N’klôli wô veut dire en baoulé soit « je t’aimais ou je t’ai aimé(e) ».

[8] I tou mi fè diarabi veut dire en dioula « je t’aimais chérie ».

[9] Beugone nala veut dire en wolof « je t’aimais ».

[10] Pour ceux qui veulent faire des recherches sur cette date, je vous conseille le livre de Thomas Hofnung, La crise en Côte-d’Ivoire, dix clés pour comprendre, paru aux éditions La Découverte. Mais vous pouvez aussi cliquer sur ce lien qui, même s’il est une réponse gouvernementale à un rapport des Nations-Unies, vous donnera quelques informations utiles : http://www.un.org/french/hr/ivoryresponse.pdf

[11] Radiodiffusion Télévision Ivoirienne qui est la chaîne de télévision généraliste et publique qui émet depuis Abidjan. A cette époque, il se racontait que la RTI était prise en otage par  les militaires d’où une ruée de la population pour la « sauver »

[12] Les 198 logements et La Cité des Arts sont deux quartiers résidentiels de la commune de Cocody.

[13] Le running-back est un joueur de football américain évoluant dans l’équipe offensive. Pour avoir une meilleure idée de ce poste, cliquez ici : http://fr.wikipedia.org/wiki/Running_back

[14] Lire le chapitre 8 de la nouvelle où Sébastien, tombé sur une enveloppe marquée « POUR MA PETASSE, TA PUTE CECILIA, découvre les secrets révélés par Cécilia.

[15] Statistique provenant d’aucune source fiable. C’est une pure invention de ma part pour les besoins de l’histoire.

[16] Grand-Lahou est une ville et un département de la Côte-d’Ivoire située au sud, au bord du golfe de Guinée et à l’embouchure du fleuve Bandama. L’avikam est la langue vernaculaire de cette ville de même que le Dida et le N’zima. Cette ville est réputée pour ses pirogues et pinasses traditionnelles qui assurent le transport de personne et de marchandise. Cliquez sur ce lien : http://fr.wikipedia.org/wiki/Grand-Lahou

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 11

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on décembre 13, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 10: Nonzi Koho Guéhi, dans cette obscure salle des Fêtes de l’hôtel Ivoire, vengeait la mort de sa soeur jumelle Sia Sou Guéhi. Soro Toxic, un poignard planté dans la poitrine, mourut dans des convulsions effroyables. Le destin était en marche et, il faisait, comme à son habitude, des siennes…

Dans la Nissan Pick-up Vintage de l’inspecteur Kipré Bouazo rebroussant chemin, trois heures et quinze ou vingt minutes après le crime…

–    Chef, j’ai deux itinéraires rapides pour arriver à l’hôtel Ivoire. Je peux continuer sur notre lancée et, sur quelques centaines de mètres, prendre la montée d’Agban jusqu’aux Deux Plateaux[1], piquer dans la station d’essence Oil Libya près de la gare de wôrô-wôrô[2] d’Adjamé-Plateau-Yopougon[3] et mettre les gaz sur le boulevard Latrille jusqu’à notre destination. Je peux aussi faire demi-tour, partir jusqu’au Chawarma « Chez Hassan » des 220 logements[4], faire le rond-point pour revenir sur la voie menant à l’échangeur routier, rouler au max deux minutes puis sortir et tomber sur le Latrille pour l’hôtel Ivoire. Qu’est-ce qui vous convient le plus, chef ? interrogea une Sandy Nini survoltée par la nouvelle de la présence gênante de Soro Toxic, et pour cause…

Il y a plus d’une dizaine d’années, Sandy Nini, en poste à la Direction de la police économique et financière, avait senti les relents d’un système de fausses déclarations de TVA par des hommes d’affaires peu scrupuleux. Un matin, « son » affaire classée top secret mais pas encore bouclée, fut exposée en lettres capitales à la Une du quotidien Tchian ya Tassouman[5]. L’article, signé par un certain Soro Toxic, était intitulé : « et si nous parlions de l’Affaire Roger Nasra [6]? » Ce brûlot avait défrayé la chronique et fait tomber de grosses têtes de l’Administration. Comment ce satané Soro Toxic avait fait pour être au courant de l’existence de ce dossier ? Pour Sandy Nini, deux personnes avaient pu l’y aider : son supérieur direct et sa collègue Ivy Dohou, les seuls à être dans le secret des investigations. Sandy avait écarté Ivy parce que trop irréprochable, mais en empruntant la piste de sa hiérarchie, elle croisa le chemin d’une lettre de mutation qui la balançait sans ménagement au commissariat du Plateau. Y avait-il plus facile à comprendre ? Son supérieur était le coupable divulgateur…

–    Comme tu dis, reprit l’inspecteur Kipré Bouazo, continuons sur notre lancée, prenons par la montée d’Agban et sortons sur le Latrille aux Deux Plateaux.

–    Ok ! répondit sèchement une Sandy Nini aux mâchoires serrées par la colère. Dans le ventre de cette nuit bizarre, les margouillats, les salamandres et les insectes nyctalopes[7] virent dans le sillage de la Nissan Pick-up Vintage un nuage de poussière comme la traînée lumineuse d’une comète…

♦♦♦

Dans un banguidrome[8] situé entre la polyclinique des Deux Plateaux et la fameuse école primaire publique « Les poulets perdus », trois heures et seize minutes après le crime…

Tantie Jeannette Kambiré, une vieille femme Lobi[9] à la maigreur accentuée par l’âge et les scarifications rituelles sur les joues, regardait avec commisération cette foule enivrée composée de petits ouvriers, maçons, mécaniciens, bouchers, vendeurs à la sauvette qui s’envoyaient dans le gosier, à qui mieux-mieux, des quantités impressionnantes de mauvais alcool. En dépit du froid apporté par les gouttes abondantes de la pluie, ils étaient toujours là à boire, fiers de leurs exploits. Dans un coin, abritée sous  les plaques de tôles rouillées de son banguidrome, elle priait Dieu de lui pardonner d’avoir détourné et fidélisé Son peuple dans cet endroit poisseux, éclairé autant que faire se peut par des ampoules jaunies par la saleté. Il fallait qu’elle travaille et, pour elle, vendre de l’alcool frelaté était le seul talent possédé. N’ayant pas encore terminé sa prière, elle fut apostrophée par Djo Kester, un client régulier, ivrogne patenté, qu’elle aimait comme son fils et qui tentait, entre la puanteur de deux hoquets et d’un rot d’alcoolo, de lui apprendre le français. Comme tous ces vendredis, l’ivresse était pour lui une forme de lucidité.

–    Tantie, dit-il de sa voix pâteuse, je t’ai toujours dit de corriger…hic…le nom de…hic…ton banguidrome qui devient…beurgh…un maquis de jour en jour…or, sur ta vilaine pancarte là qui nous permet de localiser ton sale mouroir, est marqué en grand et en rouge vif comme çà : « La mer de toutes les grâces », comme moi, Djo Kester alias Kestah alias Big Djo alias Big Djobi alias…hic…je sais que tu veux faire référence à la Vierge Marie, tu dois…hic…plutôt écrire « La mère de toutes les grâces ». Pour bien se faire comprendre il porta l’intonation sur le « e » final en disant « la mèreuuu…hic…la mèreuuu, tu as compris tantie, c’est…hic…la mèreuuuuuu et non comme tu as écrit là, la merrrr. La mèreuuuu…beurgh…la mèreuuuuuuuu… »

–    Aaaaaaah ! C’est quoi ? cria tantie Jeannette. Un silence de stupeur parcourut toute l’assistance et les yeux intimidés se levèrent craintivement pour regarder une tantie Jeannette furax. Aaaaaaaah ! Y’a quoi même ? reprit-elle avec véhémence. Mille fois tchrrrrr…Avec ta bouche qui sent mauvais comme le cul d’un Gabriel[10] là, laisse-moi tranquille hein ! Laisse-moi tranquille hein ! Tu ferais mieux de te faire désenvoûter parce que le diable du dahico[11] ne te laissera pas de si tôt, répondit-elle dans son mauvais français. La merrr ou la mèreuuuuuu, je m’en fous ; la merrrr ou la mèreuuuuuu, tu viens ici quand même non ? Hein ? Dis-moi ? Tu ne parles plus ? Tchrrrrrr…quand tu es daye[12] comme un pompier tu te souviens que tu es allé à l’école. Imbécile ! Tchrrrrr…Regarde-moi très bien mon petit Djo Kess’, bois et puis dégage ! Et puis dégage avec ce sale chien qui est toujours à tes pieds à laper le koutoukou[13] qui coule de ton gobelet comme de l’eau qui fuit d’un robinet mal fermé là. Mille fois tchrrrrr…à vous deux d’ailleurs.

Toute l’assistance se pencha avec curiosité pour regarder cet animal soûl ressemblant trait pour trait à Rantanplan. C’était un clébard famélique au pelage mangé et criblé par la gale, les puces et les plaies répugnantes. Entre trois lapements, il se grattait les oreilles et le cou, se mordait l’arrière-train et les pattes, tout ceci dans des jappements plaintifs semblables à des pleurs de bébé. Alors, tout le monde approuva intérieurement ou à voix basse la remarque de tantie Jeannette : c’est vrai, il apparaissait tous les vendredis, se tenait au pied de l’ivrogne comme s’il était son maître, ils étaient liés. Grincheux et maugréant des injures, Djo Kess’ donna un coup de pied dans le flanc du chien, ce qui le fit déguerpir dans des aboiements poussifs. Un éclat de rire fusa comme un seul homme de la foule qui observait ce clebs s’en aller à la dérive dans un galop irrégulier comme la démarche boiteuse d’un homme en grand état d’ébriété…

Livré à cette nuit remplie de dangers inconnus, le chien des vendredis de « la mer de toutes les grâces » longeait le boulevard Latrille, remontant vers la gare de wôrô-wôrô. La pluie tombait lourdement sur ses paupières fatiguées, il ne pouvait plus supporter l’éclairage des lampadaires plantés sur le terre-plein central du boulevard. Comme tous les vendredis, il dormirait ivre mort sous un porche quelconque et se réveillerait le ventre tiraillé par les gargouillements d’un estomac réclamant à manger. Manger ? Il volerait ici ou là des morceaux de viande et de poisson ou, irait faire de la langue dans un maquis comme un mendiant fait la manche devant une mosquée ou une église. En vérité je vous le dis, les chiens de la rue sont comme les enfants de la rue, ils ont pour dortoir commun la belle étoile et y partagent l’angoisse des imprévus du lendemain. Le chien des vendredis de « la mer de toutes les grâces » trottait à l’aveuglette, guidé à grand peine par un flair alcoolisé. De fait, à plusieurs reprises, de nombreux coups de klaxon d’automobilistes mécontents le remettaient bon gré mal gré dans une droite ligne de trot. « Plus qu’un petit effort avant de pouvoir dormir dans un des couloirs obscurs des immeubles proches de la gare de wôrô-wôrô, plus qu’un petit effort mon chien » s’encourageait-il. Il dépassa la clôture de l’école primaire « Les poulets perdus », arriva enfin à la station d’essence Oil Libya, tourna la tête à gauche et s’immobilisa net, pétrifié par la peur. Un puissant 4*4, feux de détresse et gyrophares clignotant dans tous les sens, déboulait sur lui à bride abattue. Sa vie de chien de merde squatteur hebdomadaire du banguidrome « la mer de toutes les grâces » défila devant ses yeux : quelle chienne de vie !

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Cocody les Deux Plateaux, deux cent mètres avant l’entrée de la station d’essence Oil Libya, trois heures et vingt-huit minutes environ après le crime…

L’inspecteur Kipré Bouazo regrettait ses vives réprimandes proférées à l’encontre de l’agent Diomandé Youssouf. Ce dernier n’y était pour rien dans l’intrusion de Soro Toxic dans cette affaire. C’était le destin ! On ne pouvait rien contre lui. Néanmoins, ne pouvait-on vraiment rien contre le destin ? Etait-il si cruel qu’il n’en avait l’air ? De l’agent Diomandé il porta ses pensées sur sa famille. Il se repassait le film de sa vie amoureuse et familiale qui battait de l’aile. Pourquoi ne pas purement et simplement se séparer quand rien ne va plus que de se battre, de s’engueuler, de chercher inutilement et méchamment des poux dans les affaires de l’autre ? Sa femme et lui ne communiquaient maintenant qu’avec des cris, des injures, des réprimandes…devant leurs trois enfants. Le divorce était inéluctable mais c’était un bété[14] et chez les bété, le divorce est banni à cause des enfants. « Séduire une femme, c’est à la portée du premier imbécile. Mais il faut savoir rompre. C’est à cela que l’on reconnaît un homme mûr »[15] avait-il lu un jour dans un livre. Quelques temps après, au mépris de la tradition, il quitta, consterné, le domicile conjugal pour, d’après lui, le bien de tous. Cependant, elle lui manquait, ils lui manquaient, ils se manquaient…Cruel, le destin !

Sandy Nini entra comme une dératée dans la station d’essence. L’inspecteur, bousculé, s’accrocha fermement aux poignées du véhicule. Il comprenait son empressement à en finir avec Soro Toxic. A son arrivée dans sa nouvelle unité, il vit une femme déçue de l’existence. Son passage à la Direction de la police économique et financière avait été pour elle, une grande désillusion. Il la prit sous son autorité et  lui redonna le goût du travail bien fait. Sandy Nini, au commissariat du Plateau, avait retrouvé une seconde jeunesse et elle redevenait efficace à ses côtés. En sortant de la station d’essence pour retomber sur le boulevard Latrille, les phares du Pick-up firent étinceler la phosphorescence des yeux d’un chien pouilleux… « Attentioooon ! » hurla l’inspecteur. Sandy Nini tira le frein à main, braqua le volant à gauche et dut faire une embardée pour éviter le chien qui semblait hypnotisé. Les musculeux pare-chocs  du 4*4 léchèrent le museau morveux de l’animal. Suffisant pour ne pas l’écrabouiller mais insuffisant pour les protéger. Boum ! La voiture heurta le terre-plein central, se cabra comme un cheval et sans que les occupants ne s’y attendent, fut emportée dans un tourbillon de tonneaux qui s’acheva sur l’autre chaussée du Latrille à quelques mètres du Chawarma « Chez Talaat ».

La Côte-d’Ivoire d’aujourd’hui a ce paradoxe commun à la plupart des pays d’Afrique : des infrastructures routières dans un délabrement affligeant pour des caisses rutilantes et dernier cri. Le jeune Hervé Sisa, alias Vétcho Diez pour ses amis, venait de « débloquer »[16] la Lincoln Navigator 2010[17] couleur noir métal, un de ses gigantesques 4*4 américains qui font la fierté des rappeurs dans leurs clips, fraîchement acquise par son père. Dans la voiture de luxe, ses potes et lui chantaient à tue-tête le refrain du célèbre artiste ivoirien, DJ Lewis. Ils criaient en chœur : « sans guêbê sans guêbê ! Sans guêbê sans guêbê ! Bachichi bachocho bachichi siman bachocho ! »[18] Lancé sur le goudron du Latrille comme un obus de roquette, le véhicule s’engouffra dans le double virage juste avant « Chez Talaat »… Dans la carrosserie froissée du Nissan Pick-up, la tête enfoncée dans le volant, des larmes de sang coulant de ses yeux, ses oreilles et son nez, Sandy Nini ne bougeait plus, morte. L’inspecteur Kipré Bouazo, gravement atteint, se débattait pour ouvrir la portière et appeler au secours. Quelques clients de « Chez Talaat » vinrent à sa rescousse et tentèrent de l’extirper de cette prison de métal. Tous entendirent le bruit strident d’un grand coup de frein. Le jeune Vétcho Diez, conducteur sans permis, fut surpris par cette voiture accidentée en plein milieu de la route et les personnes autour. Son freinage d’urgence ne servait à rien, la collision était immanquable. Il lâcha la direction, se ferma les yeux et la Lincoln Navigator comme une boule de bowling percuta ces quilles humaines…Strike ! Sans savoir que sa mort était programmée par de viles personnes quelque part dans une chambre de l’hôtel Ivoire, l’inspecteur Kipré Bouazo soutenu par deux hommes n’eut, dans l’éblouissement des phares de cette voiture assassine, que le temps d’une réflexion-aveu : le destin ! C’était le destin ! Cruel est le destin et, nous ne pouvons y échapper…

♦♦♦

Cocody, hôtel Ivoire, deux amoureux devant un réceptionniste, à l’instant « t » du crime…

Pendant qu’il remplissait une paperasse insignifiante, Kobo Jules-Sésar demanda au réceptionniste qu’il semblait connaître :

–    Ils sont là ?

–    Ils vous attendent impatiemment monsieur, répondit le réceptionniste. Vous verrez, reprit-il, nous avons concocté un de ces décors inoubliables dans votre suite.

A ce moment, tous deux entendirent une parole qui sonnait comme un testament : « Cécilia tu es mon seul et unique bien sur terre comme en enfer… »

♦♦♦

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] C’est un quartier célèbre de la commune de Cocody à Abidjan.

[2] Les wôrô-wôrô sont des taxis collectifs qui relient toutes les communes  de la ville d’Abidjan. Vous pouvez partir sur ce lien pour avoir une information succincte : http://fr.wikipedia.org/wiki/Wôrô-wôrô

[3] Adjamé, le Plateau et Yopougon sont des communes de la ville d’Abidjan desservies par les taxis collectifs stationnant dans cette gare.

[4] Un quartier de la commune d’Adjamé à Abidjan.

[5] Tchian ya Tassouman signifie en dioula « le feu de la vérité ».

[6] L’affaire Roger Nasra est une affaire dans laquelle, en 1998, un homme d’affaires Libanais aurait soutiré au Trésor ivoirien, en complicité supposée ou avérée avec certains fonctionnaires,  la rondelette somme de 1 milliard de francs CFA (environ 1.5 millions d’euros) pour les uns ou 4 milliards (un peu plus de 6 millions d’euros) pour les autres. Pour ceux qui sont intéressés par cette affaire, je vous recommande le moteur de recherche Google. Cependant, vous serez bien déçus par la pauvreté des documents juridiques et les partis pris politiques souvent sans fondement des journalistes et intellectuels de tous bords. Quant à moi, retenons bien que je me suis servi de cette affaire pour « égayer » ma fiction.

[7] Nyctalope : adjectif et nom désignant ceux qui ont la faculté de voir dans l’obscurité.

[8] Le banguidrome est une espèce de débits de boissons fait de bois de charpente et de plaques de tôles rouillées où beaucoup d’Ivoiriens, très souvent de la classe populaire, viennent consommer sur place le bangui (ou bandji), un alcool local sucré ou amer  issu de la sève fermentée du palmier-rônier ou d’autres alcools artisanaux à très forte concentration éthylique.

[9] C’est une appellation désignant un peuple et un groupe ethnique vivant dans le nord-est de la Côte-d’Ivoire, dans la région dite du Zanzan. La « capitale » du peuple lobi en Côte-d’Ivoire s’appelle Bouna. Pour ceux que le découpage par région de la Côte-d’Ivoire intéresse, cliquez sur ce lien: http://yanko.chez-alice.fr/ci/carte_ci.html

[10] Le Gabriel est un mot nouchi qui désigne le cochon ou le porc. Pour ceux qui iront à Abidjan un de ces quatre, et je vous y invite fortement, il n’est pas rare que vous trouverez inscrit sur des écriteaux : « vente de Gabriel fumé ou vente de porcodjo ».

[11] Le dahico est un mot nouchi qui signifie l’ivrognerie, l’ivresse, l’état d’ébriété.

[12] Etre daye est une expression nouchi qui signifie être ivre mort. Le nouchi a capté le verbe anglais to die (mourir), a modifié son orthographe et lui a donné ce sens particulier.

[13] Appellation familière d’une eau-de-vie de fabrication locale obtenue par distillation du vin de palme. Cliquez sur ce lien: http://fr.wikipedia.org/wiki/Koutoukou

[14] Le bété est une communauté ethnique au sein du grand groupe Krou. C’est aussi une langue parlée par environ 800 000 locuteurs originaires du centre-Ouest de la Côté d’Ivoire. Les principales villes de la zone sont : Daloa, Gagnoa, Soubré, Issia, Ouragahio, Guibéroua, Saïoua.

[15] Citation de l’auteur Tchèque Milan Kundera recueillie dans son livre La valse aux adieux.

[16] Débloquer une voiture est une expression nouchi qui signifie prendre la voiture de ses parents sans demander leur consentement.

[17] Pour voir à quoi ressemble la Lincoln Navigator 2010, cliquez sur ce lien:  http://www.lincoln.com/navigator/home.asp

[18] Pour écouter le titre Sans guêbê de DJ Lewis, je vous invite à partir sur le site www.abidjanshow.com et de chercher le titre en question dans la rubrique musique.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 10

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on décembre 5, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 9: le journaliste Soro Toxic ne prenant aucune précaution déboula dans les couloirs de l’hôtel Ivoire remplis de murmures et de dangers imprévisibles où il fut kidnappé. Il découvrit le visage de Sia Guéhi, son ex petite amie qui lui promettait une mort toute proche…

Côte-d’Ivoire, sept années auparavant, nous étions un certain 19 septembre 2002…

Le malheur venait de tomber à nouveau sur la Côte-d’Ivoire. Des coups de fusil par-ci et des coups de canon par-là, notre pays s’était réveillé scandalisé par toutes ces détonations. Le ciel, les rues, les routes, les visages et le paysage bref, le décor ivoirien faisait pitié à voir. Nous étions tous abattus et avons beaucoup pleuré car des centaines de personnes moururent cette nuit là. N’étions-nous pas sortis de ce tourbillon de 1999[1] ? Que voulaient ces assaillants ? Surtout, qui étaient-ils ? Les Ivoiriens le surent très vite et le moral de la nation s’effondra comme un château de cartes soufflé par une bourrasque. Dans un devoir de mémoire, les gens rechercheraient, à la fin de cette guerre, des écrits, des articles, toutes informations utiles pour comprendre le comment du pourquoi de ce malheur. Il y avait assurément des investigations à mener et des scoops à ne pas manquer, même au prix de mille périls. Ainsi, pendant que Douk Saga[2] débarquait comme le messie avec son bataillon armé de joie et de gaieté pour sauver la population ivoirienne de ce marasme, Soro Toxic, informé depuis belle lurette de l’attaque survenue, suivait quant à lui un déplacement massif d’armes de guerre à l’ouest du pays. Une source sûre lui avait dit qu’après le MPCI[3], d’autres factions rebelles appuyées par des chiens de guerre libériens devaient être levées à l’ouest. Depuis le mois d’octobre de cette année donc, le journaliste aux multiples décorations menait ses investigations dans la ville de Duékoué qui, selon son indic, était la ville-entrepôt de cet imposant arsenal…

♦♦♦

Fin janvier 2003, Fengolo[4], un village situé à six kilomètres de la ville de Duékoué[5], dans l’ouest de la Côte-d’Ivoire…

Il était cinq heures et quelques minutes du matin dans cette maison faite de terre battue aux murs lézardés par les intempéries. Des fleurs parasites et quelques bourgeons dégoûtants s’enracinaient méchamment aux parois décrépites par ces pluies diluviennes. Dans une pièce en mansarde, deux lampes-tempêtes éclairaient du mieux qu’elles pouvaient Madame Dégnan[6] Guéhi, une femme de petite taille, noire comme de la cendre, de corpulence imposante avec des mollets saillants et musclés comme ceux des cyclistes professionnels. Sa vie, bien des fois, ressemblait à un enfer et la mort, lui avait arraché à son inexprimable grand bonheur un mari travailleur vaillant mais mauvais amant, infidèle notoire, alcoolique ambulant et beaucoup trop violent. Elle était courageuse, sérieuse et pieuse, d’autres auraient dit fanatique religieuse. Elle avait enseigné à ses deux filles, allant jusqu’à l’intoxication mentale, que le sexe était la pire chose au monde aussi devaient-elle rester pures et ne pas s’approcher des hommes, au risque de voir les portes du paradis se refermer. Dans ce froid matinal, assise sur un petit tabouret près de son frugal petit-déjeuner mitonnant, les yeux perdus dans les crépitements du fagot enflammé, elle réfléchissait : on lui avait dit que le pays était divisé en deux depuis l’année dernière ; on lui avait dit que cette rébellion se propageait comme la peste ; on lui avait dit qu’elle ne tarderait pas à contaminer leur région ; on lui avait dit que ces sanguinaires n’épargneraient ni femmes ni enfants et, elle avait peur. Recluse dans cette froidure, submergée par la tristesse, elle pensait à la protection de son seul patrimoine, de son seul trésor, de sa seule raison de vivre, de ses deux filles, de ses filles jumelles, Sia Sou[7] et Nonzi Koho Guéhi, lycéennes à Duékoué…

C’est bien connu, les jumeaux ont des personnalités bien différentes un peu comme le jour et la nuit. Sia Sou Guéhi était comme sa mère, dégourdie, une intelligence vive pour une beauté typique des femmes Wés : visage aux traits grossiers mais harmonieux et splendides, musculature et courbes affirmées, de belles jambes galbées, des seins tendus et des fesses pointues. Sa sœur, Nonzi Koho Guéhi, sortant du même moule, avait des formes encore plus généreuses mais, d’une timidité maladive, elle vivait, secrète, dans l’ombre de sa sœur. Toutes deux habitaient chez un lointain oncle de la famille, pasteur dans la ville. Les week-ends, Sia Sou travaillait comme serveuse dans un maquis[8] réputé de la ville situé au quartier commerce non loin de la gare routière STIF. Tout le monde l’appréciait et l’appelait affectueusement la petite Sia. A 24 ans[9], fidèle aux préceptes de sa mère, priant avec ferveur, s’éloignant des hommes, elle conservait jalousement sa virginité jusqu’au jour où, après avoir pris la commande d’un client, ce dernier, un brin audacieux lui tapota le derrière. Elle se retourna, dévisagea le vieil insolent qui ne rougit point de son acte, effarée, elle bégaya des insultes confuses. Soro Toxic, l’air goguenard, lui répondit : « dis-moi que tu n’as pas aimé je vais voir ? Petite djantra ! » Il avait raison. La petite Sia avait été choquée par son propre tressaillement suite à cette douce caresse. La main de ce client avait imprimé profondément dans sa chair, une information. Elle était désormais prête, prête à s’ouvrir, prête à jouir, prête à faire jouir, prête à expérimenter pour de vrai tout ce que ses doigts fouineurs lui faisaient ressentir dans l’intimité de ces nuits de masturbation. Soro Toxic resta jusqu’à la fermeture de l’établissement. La petite Sia, prenant congé de son patron, passa devant lui, honteuse. Il l’arrêta, la rassura, présenta ses excuses pour cette mauvaise manière, il était un homme qui ne pouvait résister à la vue d’une croupe si fougueuse, elle releva la tête, ses yeux brillaient, l’amour est un personnage inattendu qui apparaît à l’improviste, sans rien dire elle lui sourit, silence, c’était gagné ! Il devait être 19 ou 20 heures, couvre-feu oblige, ils marchaient sans mot dire quand, près de petites bâtisses en construction, elle demanda sûre de son fait : « baise-moi ici ! » Sia Sou s’adossa à une de ces clôtures, descendit lentement un slip humide, remonta sa jupe jusqu’à dévoiler entièrement les lignes hirsutes d’un sexe impatient, passa sa jambe droite autour de la jambe gauche du journaliste et l’attira contre elle. Les étoiles, les chiens vagabonds et chats errants, ce soir, furent les témoins du déchirement du voile de l’innocence de la petite Sia, là, sur ces briques miteuses…

Entre-temps, dans le grand ouest de la Côte-d’Ivoire, avaient vu le jour le MPIGO[10], le FLGO[11], le MJP[12], trois autres branches de la rébellion. Au fil de ses enquêtes, Soro Toxic avait découvert des accointances suspectes avec des mercenaires libériens reliés à une très haute autorité officielle du Libéria. Quand il revenait de ses pérégrinations, il retrouvait la petite Sia et ils s’aimaient. Au début, c’était tous les samedis et dimanches. Un peu plus tard, c’était tous les jours, le lycée étant fermé, la petite Sia avait plus de temps à consacrer à la pratique sexuelle. Elle se confia à sa sœur et lui révéla la perte de sa virginité. Nonzi Koho s’enfonça dans de grandes prières quotidiennes pour arracher sa jumelle bien-aimée des dunes mouvantes de la débauche. Sans succès ! Sia Sou Guéhi était amoureuse ! Puis un jour, l’atmosphère se dégrada entre les trois mouvements rebelles et la population fut prise pour cible. L’oncle pria ses nièces de rejoindre le village maternel, lui fuyait la zone avec sa famille. Sia, affolée, courut se réfugier avec sa sœur chez Soro Toxic. Ce dernier refusa catégoriquement. Il lui asséna cette méchante parole : « toi et moi ce n’était qu’un jeu. Débrouille-toi sale salope. Va chez ta mère ! » Au moment où, enragé, ce dernier rabattait la porte, elle s’intercala pour la bloquer et supplia à chaudes larmes celui qui ne pouvait la laisser choir après toutes ces belles promesses. « Amadou, en min in djii ! In sèbé yé in di taa ![13] » cria-t-elle désespérément à plusieurs reprises en guéré[14]. Tout en gueulant, la petite Sia reconnut une fille qui travaillait avec elle au maquis, étendue sur le lit, toute nue. Elle s’effondra sur le paillasson, le cœur en miettes. Soro Toxic botta dans son gros cul comme un rugbyman pour un dégagement, rejeta au dehors ses pieds coincés dans l’ouverture et rabattit la porte de son « entrer-coucher[15] » avec fracas, brisant par la même occasion tous ses rêves. Nonzi Koho Guéhi ramassa sa sœur qui psalmodiait d’une voix impersonnelle comme une folle : « Amadou, en min in djii ! Ghislain en min in djii [16]! » La ville de Duékoué ne les revit plus…

Une semaine plus tard, un charnier venait d’être découvert à Fengolo. Une fétide odeur de corps en décomposition mêlée à l’on ne sait quelle nauséabonde moisissure recouvrait le village. Les quatre journalistes présents vomissaient, écœurés par ce qu’ils voyaient. Des corps brûlés, des corps mutilés, ici un bras détaché sûrement par une machette, là une tête coupée enfoncée sur un pieu, à côté un enfant éventré, là-bas un corps pendu. Tous dégueulaient sauf un cinquième s’intéressant à autre chose. Soro Toxic avait vu un groupe de cadavres dans une maison, étendus face contre terre, les bras à l’horizontale comme sur une croix. Le soleil fit briller un bijou en argent au poignet d’un des macchabées. Il s’approcha et y vit inscrites ses initiales S.A.G. Il reconnut son bracelet ! Au plus fort de leur idylle, il en avait fait cadeau à la petite Sia. Il retourna le corps : Sia Sou Guéhi ! Elle gisait dans une mare de sang, égorgée, les vêtements déchirés, les yeux ouverts semblants le fixer. Il reprit sa gourmette, la nettoya et la rangea dans sa poche. Il se remémora ses lamentations et, dans ses oreilles, résonnait ce cri comme un SOS « Amadou, en min in djii ! In sèbé yé in di taa![17] » Pour la première fois, il se détesta. Pour la première fois, il haït la vilénie et l’indignité de son âme. « Je ne suis qu’un pitoyable être humain, que mon âme pourrisse en enfer ! » se maudit-il. Pour la première fois il pleura, il pleura sincèrement…

♦♦♦

Cocody, hôtel Ivoire, quatre heures quarante après le crime…

Un tranchant couteau sur la gorge, Soro Toxic, pour la deuxième fois, pleurait, il pleurait sincèrement. La petite Sia Guéhi après lui avoir rappelé en dioula son identité poursuivit son monologue.

–    Moi Sia Sou Guéhi, je suis bel et bien morte. Tu m’as même repris l’unique cadeau que tu m’as offert. Je reconnais ce bracelet à ton poignet, il m’appartenait n’est-ce pas S.A.G ? Elle récupéra le bijou et le fit passer sur son poignet.

–    Il faut rendre à César ce qui lui appartient, Ghislain. Moi, la petite Sia Sou Guéhi, je suis bel et bien morte comme je t’ai dit. Mais, ma sœur, Nonzi Koho Guéhi, elle, n’est pas morte. Elle a survécu et a pu échapper à ces bourreaux, morte de fatigue après des heures interminables de marche, elle s’est écroulée sur une piste. A son réveil, elle était dans le camp des rebelles du MODEL[18] où elle fut soignée, nourrie, entraînée, formée à toutes les techniques de guerre. Quand on lui demanda son nom, Nonzi Koho répondit s’appeler, en mémoire de sa sœur et de sa mère qu’elle chérissait plus que tout au monde, Sia Sou Dégnan Guéhi. La timide et effacée Nonzi Koho disparaissait pour ressusciter les combatives et courageuses Sia Sou et Dégnan Guéhi. L’heure de leur vengeance avait sonné. J’ai abattu tous les meurtriers de ma famille. Mais, il en restait un, celui qui aurait pu, celui qui aurait dû nous sauver. Et celui-là, je l’ai traqué patiemment.

Une lueur d’abomination traversa les yeux de Nonzi Koho Guéhi. Soro Toxic la vit et, pour la troisième fois, il pleura, il pleura sincèrement. En fait, il n’avait jamais cessé de pleurer depuis la deuxième fois. Nonzi lui raconta qu’à 31 ans, encore vierge, elle vivait en esprit, trop souvent, tous les détails sexuels croustillants narrés par sa sœur puis, se masturbait honteusement. Elle précisa qu’avide de vengeance, elle n’avait laissé aucun homme la toucher mais aujourd’hui, tout allait changer. D’un signe de la tête, le molosse à ses côtés ôta le pantalon du journaliste qui, consumé par la peur, avait la bite molle. « Bande ou tu meurs ! » ordonna-t-elle. Cette situation évoqua à Soro Toxic une autre qu’il avait déjà vécue. Mais cette fois-ci, c’était sa dernière plongée dans une femme. Nonzi Koho Guéhi, que disons-nous, Sia Sou Guéhi ressuscitée d’entre les mortes, releva sa jupe, inspira un bon coup, ferma les yeux en se plaçant pile poil au-dessus de la tête chercheuse, s’y empala progressivement en se pinçant les lèvres, de bonheur, de douceur, de douleur. Le long kandjar qu’elle tenait, brisa la cage thoracique du journaliste aussi difficilement que le sexe de ce dernier perçait son vieil hymen endurci. Soro Amadou Ghislain, le grand Soro Toxic, sentit la pointe effilée se faufiler difficilement entre ses os, atteindre son cœur et s’y enfoncer de tout son long. Il ne put retenir tous les liquides de son corps: pipi ou sperme de même que caca et sang s’échappèrent en toute liberté. La vie le quitta dans d’affreux gigotements…

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Cocody, hôtel Ivoire, dans la suite aménagée du douzième étage de la tour Ivoire, trois heures quarante-cinq après le crime…

Le mercenaire Libérien, calma les inquiétudes du rustre ministre. « Ne vous inquiétez pas éminence, Sia Guéhi va s’occuper proprement de ce petit caillou dans votre chaussure. » Malgré cette assurance, le ministre demeurait bougon.

–    Que se passe-t-il encore pour que tu ne sois pas content ? demanda l’autre dignitaire de la République.

–    Vous deux-là même hein, vous êtes bouchés ou quoi ? Vous n’avez pas entendu que l’inspecteur Kipré Bouazo vient ici pour s’occuper de Toxic ? s’emporta le bouillant et brouillon ministre.

–    Tu veux qu’on y fasse quoi ? Hein ! On fait qu… ? demanda l’autre membre du gouvernement.

–    Nous le tuons tout simplement coupa le Libérien.

–    Tu es très fort toi le petit Libérien, intervint le ministre boudeur dans un grand rire…

Yopougon, quelque part dans la forêt du banco, quatre heures après le crime…

Sébastien Kouassi, après avoir expliqué dans les détails le meurtre de la camerounaise s’arrêta. Il voulait souffler un peu avant de commettre son suicide. Il mit le lecteur cd de sa Toyota en marche. Etait-ce une coïncidence ? Etait-ce la vie qui voulait lui dire qu’elle avait agréé à son projet de suicide ? Il ne sut que répondre sinon que d’écouter en pleurs la chanson qui passait. C’était « Lost without you » de Robin Thicke. La voix du chanteur appuyait sur la corde de sa peine comme un grain de riz va réveiller la douleur d’une carie endormie. Il était le chanteur et Cécilia d’où elle était, à présent, devait entendre le premier couplet :

Tell me how you love me more

And how you think I’m sexy baby

But you don’t want nobody else

You don’t want this guy

You don’t want that guy

You wanna, touch yourself when you see me

♦♦♦

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Le premier coup d’Etat en Côte-d’Ivoire eut lieu le 24 décembre 1999.

[2] Douk Saga de son vrai nom Stéphane Hamidou Doukouré (21 mai 1974-12 octobre 2006) est le créateur du coupé-décalé qui est à la fois une danse, un rythme et un genre musical ayant conquis le monde entier. Dans sa chanson « Douk Saga en fête » il explique l’origine de son mouvement et la manière par laquelle, tel un messie, il a soulagé le peuple ivoirien de ses souffrances quotidiennes. Vous pouvez écouter son album gratuitement sur le site http://www.deezer.com

[3] Mouvement Patriotique de la Côte-d’Ivoire est un mouvement rebelle parti du nord du pays qui a revendiqué les attaques du 19 septembre 2002.

[4] Fengolo est un petit village où il y a eu des massacres ignobles commis à l’époque par des rebelles. Vous pouvez consulter les photos des massacres sur ce site www.cridecoeur.free.fr/fengolo.htm âmes sensibles s’abstenir.

[5] Duékoué est une ville de la Côte-d’Ivoire située à l’ouest du pays, une région forestière et montagneuse. Sa population est essentiellement constituée de Wés, un ensemble ethnique comprenant les wobés, les guérés et les krhans. Cette ville est très proche du Libéria et de la Guinée.

[6] Dégnan est un prénom féminin qui signifie en langue wé « on ne connaît jamais l’avenir ».

[7] Sou et Koho sont des prénoms féminins réservés aux filles jumelles.

[8] Un maquis est un espace aménagé où les gens viennent manger, boire et danser. Ce sont de véritables lieux de rencontre et de défoulement. Les maquis sont, si je peux me permettre de dire, de véritables restaurants « africanisés ».

[9] Il n’est pas rare de voir à l’intérieur du pays, des  jeunes de plus de 20 ans encore au lycée. Ce phénomène est majoritairement dû à leur scolarisation très tardive.

[10] Mouvement Populaire du Grand Ouest.

[11] Front de Libération du Grand Ouest.

[12] Mouvement pour la Justice et la Paix.

[13] « Amadou, je t’aime ! Ne m’abandonne pas je t’en prie ! »

[14] Le guéré est une ethnie de l’ouest de la Côte-d’Ivoire qui fait partie de l’ensemble ethnique que constitue le groupe Wé.

[15] Un « entrer-coucher » signifie en nouchi un studio, un appartement d’une pièce.

[16] « Amadou je t’aime ! Ghislain, je t’aime ! »

[17] « Amadou, je t’aime ! Ne m’abandonne pas je t’en prie ! »

[18] Le MODEL était un mouvement rebelle libérien, qui a sévit lors de la « seconde » guerre du Libéria, qui était formé de libériens originaires de l’est du pays, région frontalière de la Côte d’ivoire, mouvement très bien armé, avec des armes récentes, et combattant le régime de Charles Taylor. Il y avait un grand nombre d’Ivoiriens dans ce mouvement. Leurs armes venaient de Côte d’ivoire, les camps étaient en Côte d’ivoire, le mouvement était financé par le gouvernement ivoirien, le MODEL avait un appui aérien conséquent alors qu’il n’y avait même pas un seul avion de chasse au Libéria. Pour plus d’informations, vous pouvez aller sur ce site : http://forum.afrik.com/index.php?topic=1173.0;wap2

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 9

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 28, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 8: dans la villa rose, Sébastien Kouassi s’endormait la tête lourde de révélations déstabilisantes: Cécilia l’aimait à la folie mais, elle menait une vie licencieuse depuis longtemps. Soro Toxic, lui, repartait sur les traces de son enquête dans un palace désormais peuplé de murmures et de dangers imprévisibles…

Cocody, hôtel Ivoire, trois heures quarante-huit après le crime…

Soro Toxic remonta à pas de loup les escaliers du Top Raphia night-club. Il regarda sur sa gauche et sur sa droite, il n’y avait personne. Le silence assourdissant qui régnait désormais dans l’hôtel était, de toute évidence, anormal. N’en tenant cure, « qui ne risque rien n’a rien » s’encourageait-il, le journaliste se mit à longer les grands rideaux de la salle des Fêtes quand, surgissant de nulle part, de grandes mains le happèrent au vol comme un insecte brutalement saisi par la langue gluante d’un caméléon. Le cou cadenassé et broyé par ces puissantes tenailles, Soro Toxic étouffait. Ses mains s’agrippèrent à la prise passée, ses jambes gigotaient dans tous les sens, il lançait de grandes ruades dans le vide comme un taureau déchaîné dans un rodéo pour échapper à ce collier étrangleur…peine perdue ! Asphyxié, la langue pendante et les yeux révulsés, il perdit connaissance…

Cocody, hôtel Ivoire, au moins cinquante minutes après le crime…

La lueur des chandelles traçait sur le mur et les grands rideaux rouges des courbes mouvantes semblables à un ballet de fantômes. Des volutes de fumée de cigares montaient, s’entassaient au plafond et ressemblaient, dans le clair-obscur de cette suite du quinzième étage de la tour Ivoire, à de gros nuages d’orage. Une bouteille de Chivas Regal 18 ans d’âge trônait sur la table du petit salon privé et, nus, assis jambes croisées ou écartées, le visage masqué par des cagoules en latex, trois hommes faisaient tourner dans leur verre cet alcool onctueux aux saveurs complexes. Sur la moquette, de petits coussins noirs étaient éparpillés ; à chaque pilier du lit à baldaquin étaient fixées des lanières en cuir avec des menottes au bout, quelqu’un se ferait certainement attaché et écartelé ; dans toute la pièce, on trouvait çà et là une panoplie de gadgets, jouets et fouets « sado-maso ». Tranquillement, ces personnes devisaient de choses et d’autres. Un téléphone hurla longtemps avant qu’un parmi eux, excédé, ne décroche.

–    Je dis kessia[1] ? Je suis au bureau, on ne peut plus travailler en paix ?

–    Euh…monsieur le ministre, c’est moi, le MDL[2] Sanon Yves-Lambert.

–    Oui et puis ?

–    Si je me permets de vous déranger c’est que l’affaire est compliquée…euh…

–    Parle nom de Dieu ou je te fais virer dès demain !

–    Euh…je suis en bas, la police est là. J’ai vu monsieur Kobo Jules-Sésar avec votre…euh…son amie…euh…votre proie de la nuit.

–    Ah bon ?! De quoi je me mêle ? Tu veux me faire du chantage ? Sale corps habillé !

–    Jamais de la vie monsieur le ministre ! Je suis et demeure fidèle à vos ordres. Mais c’est important monsieur.

–    Oui c’est quoi ? Dépêche-toi, j’ai des affaires qui attendent ! D’ailleurs, j’espère que tu parles de manière discrète hein.

–    Oui ne vous inquiétez pas. Je voulais vous prévenir que…euh…monsieur Kobo a été assassiné en même temps que la jeune fille dans le hall de l’hôtel.

–    Quoiiiiiiiiiiiii ? Le ministre laissa tomber son appareil, porta ses deux mains sur sa tête, regarda tout interdit ses compagnons qui, sans même savoir de quoi il s’agissait, lui rendirent le même regard pantois et stupéfait…

Une fois mis au courant, la consternation et l’inquiétude envahirent la chambre. Tous s’interrogèrent sur la conduite à tenir et convinrent de ne point bouger de la pièce tant que le calme ne serait pas de retour. Après une bonne demi-heure de réflexion, le plus jeune des trois hommes émit une idée que tous trouvèrent géniale.

–    Comme vous savez, j’ai fui le Libéria et d’ici, vous m’avez utilisé pour combattre le flanc ouest de la rébellion appuyé par des mercenaires de Charles Taylor. J’ai mes barbouzes qui dorment au douzième étage près de ma chambre et, nous disposons d’un matériel d’espionnage de pointe. Je vous propose de descendre tous afin de suivre en direct toute l’opération de police. Mais avant, ne devons-nous pas prévenir le Grand-Frère ?

–    J’avoue que Jules-Sésar était un de ses hommes de confiance mais là actuellement, c’est trop chaud. Je vais me charger de le prévenir quand tout va se tasser un peu et que l’on sera hors de danger, affirma le ministre…

Ils arrivèrent dans la suite indiscutablement réaménagée du douzième étage. Cette grande chambre était aussi équipée que la Cellule Anti-Terroriste de Jack Bauer dans 24 heures chrono. Le nerveux ministre de tout à l’heure ne put s’empêcher de dire, tout épaté et le poing fermé sur la bouche, « tchié[3] ! Patate ! Ce n’est pas vrai ! A Abidjan ici il y a des choses comme çà ? Han[4] ! » Le chef de la petite troupe de mercenaires ne releva guère ce manque de délicatesse et de tenue pendant que l’autre personnalité qui les accompagnait, riait aux éclats ne cessant d’ironiser sur les propos de son collègue. « Avec un gaou pareil comment le pays peut avancer ? Tu es ministre de quoi au fait ? Ministre des voleurs ouais ! Je dois dire au Grand-Frère qu’il y a des idiots dans son gouvernement. » raillait-il et l’autre, mécontent et chagriné, de répondre par des « je ne te permets pas hein ! Tu sais qui je suis ? »

–    Je vous présente notre matériel et mon équipe de cinq personnes dirigée par mon homme de main que dis-je, par ma femme de main, mademoiselle Sia Guéhi, exposa fièrement le mercenaire. Une petite femme se leva dévoilant dans un sourire poli, un visage d’ange déchiré en diagonale par une laide et longue balafre.

–    Elle est experte en tout si je peux dire. Tortures, espionnages, sabotages, opérations d’infiltration, attaques, assassinats sur commande, plus rien n’a de secret pour elle. Laissons-la, messieurs, nous mettre sur écoute tout ce qui se passe dans la police ivoirienne. Vas-y Sia, ordonna le chef de la bande…

Les deux hommes politiques, achevant leurs salutations, prirent place. Ils suivirent, les heures défilant et un rafraîchissement en main, toutes les instructions de l’inspecteur Kipré Bouazo jusqu’à sa conversation avec l’agent Diomandé Youssouf qui lui apprenait la présence sur les lieux du journaliste Soro Amadou Ghislain.

–    Wohbou[5] ! Soro Toxic est dans les parages. Lago Tapé[6] ! Je vous dis que nous sommes foutus ! Eh Dieu ! Je suis foutu, tu es foutu, ils et elle sont foutus, nous sommes foutus. Vous entendez ! Nous sommes FOU-TUS ! se lamentait le rustre ministre.

–    Pour une fois, je suis d’accord avec ses brutales envolées verbales. Nous sommes dans la merde, avoua tristement l’autre homme politique au nervi Libérien…

Cocody, hôtel Ivoire, quatre heures après le crime…

La salle des Fêtes de l’hôtel Ivoire était aussi noire, aussi silencieuse et plus vide qu’une tombe. Les petits points lumineux des témoins de veille des gros blocs d’éclairage de sécurité au plafond renforçaient davantage son aspect funèbre. Quelle ressemblance frappante avec l’intense et angoissante pénombre des couloirs mal éclairés dans les films d’épouvante ! On distinguait à peine l’important mobilier qui occupait ce grand espace et, se mouvoir là, parmi ces tables et chaises, sans se cogner, relevait de l’exploit. Baignant dans ces ténèbres, la flamme vacillante d’un briquet, telle le vieux phare rouillé et courbaturé de Port-Bouët[7], éclairait par intervalle régulier le visage du journaliste groggy. A chaque apparition intermittente de ce flash, un décompte religieux fredonné à son oreille : « et 1, tic-tac boum, La Parole prêche que l’esprit de Dieu se mouvait au-dessus des eaux, voyant les ténèbres à leur surface Dieu dit : que la lumière soit ! Et la lumière fut !…et 2, tic-tac boum, La Parole prêche que Dieu vit que la lumière était bonne et Dieu sépara la lumière d’avec l’obscurité profonde…et 3, tic-tac boum, La Parole prêche que Dieu appela la lumière le jour, et il appela les ténèbres la nuit. Ainsi, il y eut un matin et un soir… Et 4, tic-tac boum, ce soir, tu rejoindras le monde des ténèbres car ainsi prêche mon cœur assassin. » La voix mystérieuse déplaça le feu sous le nez de Soro Toxic et continua sur de longues minutes ce battement musical semblable à un requiem…

« Pour une fois que j’ai décidé de faire à manger, je suis très fier de moi. J’en avais marre de gaspiller mon wari[8] dans tous ces misérables et insalubres allocodromes[9]. Maman chérie, plonge tes narines dans ce fumet agréable et surprenant qui se dégage de cette casserole au feu. Je vais soulever le couvercle pour que ton nez se laisse envahir par la vapeur appétissante de mon œuvre. Ah ! Cette odeur ! Tu as tout de suite deviné n’est-ce pas ? Une bonne sauce graine-djoumgblé[10], pimentée à souhait, dans laquelle, fiers et orgueilleux, nagent le crawl et la brasse trois crabes poilus, plusieurs morceaux de viandes et d’énormes escargots du village d’Ahoué[11]. Hum ! Délicieux ! » Le cuistot souleva comme annoncé le couvercle et, horreur des horreurs, du plat mijotant, jaillit dans un éclat de sauce un colossal escargot à la bave toute écarlate de vapeur. Il devait faire au moins quinze mètres ! Il jeta méchamment sur le cordon-bleu ses yeux globuleux posés aux extrémités de deux cornes tentaculaires et le dévisagea avec impertinence. Derrière lui, un crabe poilu, tout aussi sulfureux et immense, l’enjambait et claquait ses pinces menaçantes. Ce dernier enserra le manche de l’ustensile de cuisine et renversa tout le liquide brûlant sur Soro Toxic qui, en se protégeant le visage, poussa un cri d’effroi interminable…

Le journaliste émergea en catastrophe de son évanouissement. Il fut ébloui par l’éclat de la flamme qui rôtissait ses narines et redressa instinctivement la tête. Une douleur lancinante lui trouait le cou, le cordage utilisé pour le ligoter à la chaise lui tailladait les articulations et, un gros bâillon l’empêchait d’appeler au secours. Le tortionnaire éteignit aussitôt la flamme et les replongea dans cette ambiance mortuaire obsédante.  « Soro Amadou Ghislain ! Le grand Soro Toxic en personne dans de beaux draps devant moi. ». Quoique vaguement familière, cette voix ne lui disait rien. « Personne dans mon entourage n’a un timbre de voix pareil » se demandait un Soro Toxic terrorisé quand, des doigts fins, légers et doux comme ceux d’un bébé lui relevèrent la tête. Il sentit le visage anonyme se tenir à un bout de nez du sien, se tenir à un bout de lèvres des siennes et, de la même manière aveuglante, un nouvel éclat de lumière illumina le visage anonyme. Soro Toxic gigota d’effroi, ses mouvements apeurés firent sautiller la chaise et une voix paisible accompagna les gestes terrorisés du journaliste.

–    Tout le monde te connaît sous ton surnom de Soro Toxic hein, n’est-ce pas Amadou ? interrogea le bourreau. Le journaliste, les larmes aux yeux et fixant avec effroi la silhouette devant lui, remuait la tête de stupeur comme pour dire : « Impossible ! Je ne peux y croire ! Elle est morte ! Elle est morte depuis belle lurette. »

–    Amadou, tu portes sur ta poitrine comme des médailles arrogantes toutes tes récompenses journalistiques et, la tête haute dans la ville, tu marches en te fichant éperdument des malheurs que tu sèmes ou que tu as semés pour les obtenir. Ah ! Si tu savais que depuis longtemps je te filais en secret dans l’attente de la bonne occase. Ce soir, voici que la volonté divine t’expose, sans défense, aux flèches de ma vengeance.  Elle dégaina un poignard et, en même temps qu’elle posait la pointe de l’arme sur la pomme d’Adam de son prisonnier, elle lui signala du tranchant de la main son prochain égorgement.

–    Tu m’as reconnue n’est-ce pas Ghislain ? Dis-moi qui suis-je s’il te plaît ? Le gros bâillon dans la bouche du journaliste rendait inaudibles ses mots. Le visage en voie de reconnaissance ôta légèrement le bâillon. Le journaliste miaula des « pardon, pardon, il faut que je t’explique, pardon, ne me tue pas, il faut que je t’explique. » Le visage reconnu reboucha la gueule implorante. De nouveau, des complaintes étouffées qui pleuraient une mort certaine.

–    Je vois alors que tu m’as reconnue malgré cette vilaine cicatrice sur mon visage. Je suis bel et bien la petite Sia Guéhi. Laisse-moi te rafraîchir la mémoire en dioula, « i ka diarabi, i ka n’tôgnon dè ! Walaye Massa Allah bi n’ni faga, batara déni ![12] »

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Kessia ou késhia en nouchi signifie « qu’est-ce qu’il y a ? »

[2] Maréchal Des Logis, c’est un grade de sous-officier dans l’armée et la gendarmerie ivoirienne (comme dans toutes les forces armées nationales d’ailleurs). Ils sont souvent attachés à la protection de hautes personnalités en Côte-d’Ivoire.

[3] Tchié ! est une expression ivoirienne qui marque l’étonnement, la surprise devant une situation.

[4] Han ! est aussi une expression ivoirienne qui marque l’étonnement, la surprise devant une situation.

[5] Wohbou ! est une expression ivoirienne exprimant l’étonnement, la surprise, le désarroi devant une situation.

[6] Lago Tapé ! veut dire « mon Dieu ! » en bété, une ethnie du centre-ouest de la Côte-d’Ivoire.

[7] Port-Bouët est une des 10 communes composant la ville d’Abidjan. Petit cours d’histoire ivoirienne : Port Bouët porte le nom du Commandant Bouët Villaumez qui, en 1837, fut chargé par le roi de France de conclure des traités de commerce et de protection avec des chefs côtiers. Etalée sur une dizaine de kilomètres du littoral ivoirien, le peuplement de cette commune commença véritablement à partir des années 1930, date de la création d’un wharf pour les activités de manutention des marchandises maritimes. Le célèbre phare de Port Bouët qui balaie la mer sur un rayon de quelques milles marins fut construit à cette époque.

[8] Wari signifie « argent » en nouchi. C’est un mot provenant de l’ethnie qu’on appelle abusivement les dioula mais qui sont en réalité les malinkés qui vivent dans le Nord de la Côte-d’Ivoire. Le nouchi étant très vivant, très créateur et très créatif, aussi n’hésite-t-il pas à capter tout le vocabulaire qu’il peut entendre ailleurs. A cet effet, pour ceux qui seraient intéressés, je vous conseille les sites http://www.abidjanshow.com et http://www.abidjan.net qui, dans leurs différents forums et dans des liens dédiés, sont une vitrine magnifique de la Côte-d’Ivoire et de l’expression nouchi.

[9] L’allocodrome est un lieu de restauration unique en son genre en Côte-d’Ivoire. Il tire sa racine de l’alloco (d’autres écriront l’aloco, moi je préfère les deux « ll » à cause de leur musicalité) qui est un plat de bananes plantains frites consommé simplement ou en accompagnement.  Un allocodrome est donc au premier sens du terme, un endroit où l’on mange de l’alloco et par extension, un lieu où l’on peut trouver tout type de bouffe (viandes, poissons et poulets braisés etc.) et de boisson.

[10] C’est un plat à base d’huile de palme rouge et de poudre de gombos secs (le djoumgblé, prononcer « joumeblé », est un mot baoulé, signifiant « poudre de gombos secs »).

[11] Ahoué est un village situé près d’Anyama une ville du sud-est de la Côte-d’Ivoire. Une fois par an, dans ce village, a lieu le Mondo festival qui est une foire célébrant  l’escargot. Toute cette zone orientale du pays habitée par les peuples  abbey, attié (Attié est une autre appellation abusive sinon la vraie appellation c’est Akyé), agni, abron et koulango est réputée pour ses gros et gras escargots.

[12] [12] « Je suis ta chérie, celle que tu as trahie ! Au nom de Dieu Tout-Puissant aujourd’hui tu vas payer de ta vie, petit bâtard ! » Le dioula est, par abus, désigné comme une ethnie ivoirienne. En tout cas, il est une langue véhiculaire parlée entre la Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Mali.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 8

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 21, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 7: La Camerounaise sentit juste une lame froide, une lame froide qui la tua en traître. Rassasié d’une première partie de vengeance ignoble et rationnellement inexplicable, Sébastien se releva et vit sur la table, une vieille lettre ensanglantée « POUR MA PETASSE, TA PUTE CECILIA ».

Biétry, dans la villa rose, une heure après l’exécution sanglante de La Camerounaise…

Sébastien Kouassi posa l’enveloppe « POUR MA PETASSE, TA PUTE CECILIA » sur ses jambes nues et velues. Il inspira fortement, bloqua l’air emprisonné et le relâcha lentement pour apaiser les battements effrénés et irréguliers de son cœur qu’il sentait cogner dans ses tempes. Il déchira l’enveloppe et se mit à la lire…

« Cocody, campus, le 15 février 2002. Il est 23 heures et j’entends au dehors les stridulations des grillons. Je suis seule chez moi, il vient de partir…

La Camerounaise, comment s’est-il retrouvé dans mon lit ? Ou plutôt dois-je dire, qu’est-ce qui m’a pris de l’accepter dans mon lit ? Ma gentillesse ? Peut-être ! Peut-être pas ! L’amour ? Je ne sais pas encore, c’est trop tôt. Un jour c’est rose, un autre c’est morose avec moi tu le sais bien. Je pense qu’il a trouvé ou dit quelque chose qui a su me convaincre. Je t’assure que c’est un malin personnage. Il est là toujours à m’observer, à me faire parler, à m’écouter, à relever tout ce que je dis, à me prendre au mot. Bref, il est à en savoir toujours un peu plus sur moi que de me raconter sa vie. Il y a une semaine, il m’a déclaré ses intentions. J’avais deviné dans son attitude, dans ses dires, dans ses sourires, dans ses habitudes, où il voulait en venir. Néanmoins, je n’en étais pas sûre à 100%. Tu sais bien que les hommes sont tellement prévisibles mais lui, je te dis, c’est un spécimen à part. Tu comprendras au fil de mes mots pourquoi je le considère ainsi.

Déjà un truc, tu sais que j’aime garder une main manipulatrice dans tout ce que je fais. Aussi, avais-je prévu une attitude particulière pour chacune de ses tactiques d’approche. Mais, quand je m’attendais à une attaque en règle, il ne bougeait pas. Quand je ne m’attendais à aucune offensive, il ne bougeait toujours pas. Moi qui, orgueilleuse et fière, pensais être une cible traquée (j’avais senti son sexe sur mon ventre lors de notre première rencontre dans une situation bien cocasse), je ne sais plus quoi penser. Je me suis bien des fois demandée si je lui plaisais. Je me suis bien des fois demandée si j’avais fait ou dit une chose qui l’empêchât d’agir, de me croquer comme je le mérite. Je fouille dans ma mémoire et je ne vois pas trace de tels actes. Ma copine la Camerounaise, quand tu me regardes avec tout ce que je possède comme atouts charmants, ne suis-je pas une proie de choix méritant d’être dévorée sauvagement ? Lasse d’attendre un assaut, j’avais envisagé à maintes reprises de lui dire de ne plus venir me voir. Pourtant, hier soir, il était dans mon lit…

Tu dois sourire en imaginant que pour avoir eu envie d’être croquée, hier soir j’ai assurément dû l’être. Techniquement, entre nous ma copine, un gars qui te drague depuis un moment et qui un soir d’un jour de romance dort chez toi, inévitablement il te passe à la casserole du moins, tu le passes à la casserole non ? Ma chère, moi dans mon esprit, je m’attendais à voir mes vêtements volés dans la chambre, à entendre des rugissements de lionne domptée et des grognements de babouin en rut. Fohi[1] ! Il ne s’est rien passé. Nothing ! Nichts ! Nada ! Si je savais dire « rien » en chinois, je l’aurai dit. Bon quand même, sur ce coup, je reconnais qu’il était pardonnable. Hier soir, ma copine, depuis le matin, les Anglais, ces sanguinaires, avaient débarqué. Bien fait ! Cà, c’est pour toutes les fois où j’étais en condition sans qu’il ne bouge d’un iota. Pour résumer, techniquement le moment était propice mais, pratiquement, hygiéniquement, çà ne le faisait pas.

Comment avons-nous donc terminé la soirée ? Moi j’ai passé mon temps à le regarder. Ouais, j’ai passé mon temps à le regarder écrire. Il dit qu’il est écrivain. Je ris même en te racontant. Vraiment le gars-là, ma copine la Camerounaise, soit il est bête soit il est trop rassasié. Et même s’il est rassasié, ne suis-je pas une délicieuse friandise dont aucune gourmandise comblée ne peut se priver ? J’ai même pensé à un moment que c’était un pédé. Oh my God ! Je sais que tu ris de mes réflexions. Hi hi hi…Peut-être a-t-il découvert que j’avais mes règles ? Et même si la rivière est en crue, qu’est-ce que çà peut faire de mal ? Ne peut-il pas longer la rive d’un regard qui me caressera et m’embrassera ? Nous pouvons tout de même flirter sans aller plus loin qu’il ne faut non ! Mais, je te dis que le soi-disant écrivain ne m’a ni caressée ni embrassée ni tenue dans ses puissants bras. Rien ! Nothing ! Nichts ! Nada ! Dara[2] ! Si je savais dire « rien » en russe, je l’aurai dit. Donc, chère amie, dans tous les garçons de ce monde, hier soir, c’est un écrivain apathique (on va l’appeler écrivain en guise de code entre nous) qui est venu dormir avec moi.

Qu’était-il en train d’écrire ? Je sais que la question te brûle les lèvres. Espèce de fille affairée ! D’après lui, un poème ou une nouvelle ou un début de roman ou un nouveau genre qui serait une combinaison des trois. Ecoute comment m’a-t-il dit çà : « je veux écrire un recueil de nouvelles poétiquement romanesque ». La Camerounaise, çà c’est qui çà là ? Cette nuit où je désire ardemment être réchauffée comme un plat surgelé dans un four à micro-ondes, je ne récolte que des blablas. Chérie, ai-je chié à l’église[3] ? Quelle guigne ! Je suis certaine que c’est une fille que j’ai rasée[4] à l’époque, qui a dû me jeter un puissant gbass[5] pour ne plus que je connaisse un jour l’amour. Elle est vaincue au nom du Tout-Puissant Jésus, Allah, Jéhovah, Bouddha. D’ailleurs même çà tombe bien, je dois aller dimanche prochain chez mon pasteur pour qu’il me délivre de ce mauvais sort. Bien, ma chérie coco, passons et revenons à notre mouton. Je disais donc que me voici avec l’écrivain dans le lit hier soir, petite lampe allumée à notre chevet, moi couchée de profil, la tête reposant dans ma main droite, la main gauche entre mes jambes croisées, lui un peu relevé, adossé au mur, le drap couvrant ses jambes, le torse nu offert à la petite bise qui pénétrait par les persiennes, un stylo à la main jetant de l’encre noir sur un bloc-notes et souriant seul par moments.

Le gars-ci, (au passage, remarque bien que tu me fais parler comme les Camerounais maintenant avec leur gars-ci, leur gars-là, ne lap[6] pas hein), il me ramène des années en arrière, vers 1995 ou 1996, quand j’étais en Terminale A2[7] au Lycée Classique d’Abidjan. Tous les garçons du lycée ne rêvaient que de moi. Les professeurs alors, je n’en parle même pas. Jeunes comme vieux, tous en pinçaient pour mes formes généreuses et infatuées. Je suis sûre que tu t’en souviens, les autres gos[8] de la classe et toi, vous étiez jalouses. Peut-être même que toutes les filles du lycée aussi. Avoue ! Akpesmandi[9] là ! En parlant du lycée, je repense à un de mes petits gars-là. Te souviens-tu de ce mec en Terminale D1, un Sénégalais noir et beau comme çà, Alioune Seckh, qui m’écrivait des lettres enflammées ? J’aimais trop le lire. Il me comparaît à des fleurs, des paysages. Il me disait qu’il était l’AS (en référence à ses initiales) de trèfles qui piquait mon cœur. Il promettait de me faire voyager. En retour, je le couvrais de compliments. Mais bon lui, je le flattais juste pour qu’il paie mon pain-viande[10] à la récré. Jamais il ne m’a touchée à part quelques petits bisous par-ci par-là. Je m’amusais avec lui comme avec tous les autres péquenots du school. Il est rentré au Sénégal d’ailleurs après son échec au Bac, le pauvre. Juste avant de partir, dans une énième lettre, il m’a tenu pour responsable de sa déroute scolaire parce que, d’après lui « Cécilia, jamais ton cœur asséché comme un sol sahélien n’a voulu se laisser irriguer par l’eau bienfaitrice de mon amour. Et, ma belle-de-jour ivoirienne, sans t’en rendre compte tu as bousillé mon existence. »

Comme tu vois La Camerounaise, j’ai déjà eu une expérience des petits plumitifs. Je me souviens même d’une histoire concernant un des nombreux chéris de ma grande sœur Audrey. Tu la connais non ? Elle m’avait dit que Teddy (c’est comme çà qu’il s’appelait) se réveillait en pleine nuit, mû par une inextinguible soif d’écrire comme si un démon le possédait. Dans ses moments de démence, il écrivait du n’importe quoi truffé de pataquès. Ma sœur, grande persifleuse devant l’Eternel, me disait que déjà victime de la jalousie des maris de nuit[11], elle devait se coltiner un mec lui aussi victime d’un esprit malveillant au penchant prononcé pour la littérature. C’est pourquoi avec tout çà ma copine, j’en suis arrivée à penser que mon écrivain était aussi la manifestation pure et simple d’une malédiction jetée sur notre famille. Dans tous les cas, mon pasteur ce dimanche, devra être très fort pour venir à bout de ce sort…

Revenons plutôt à mon écrivain. Je suis désolée pour mes fréquents hors-sujets. Tu me connais, je veux tellement te raconter de choses. Ma copine, hier soir je te dis, pendant que je pensais à ces anecdotes mystiques en le regardant, lui il avait porté le stylo à sa bouche et souriait comme s’il avait lu dans mes pensées. Il s’est penché et m’a dit : « j’écris l’histoire d’une fille qui te ressemble vachement ». Je lui répondis que j’en doutais fortement vu qu’il ne me connaissait pas suffisamment. Il a souri, je lui ai rendu son sourire et là, comme un félin tapi dans la broussaille bondissant sur sa proie, il m’a embrassée, je l’ai embrassé, nous nous sommes embrassés, il m’a caressée, je l’ai caressé, nous sommes caressés, il m’a tenue dans ses bras, je l’ai tenu dans mes bras, nous nous sommes tenus dans nos bras. Je sais que tu ris je te connais. Vois-tu comment ce mec là me désarçonne ? Je mets ma main à couper que ce gars-ci, c’est un puissant manipulateur. Je te jure qu’il lit dans mes pensées. C’est un charlatan, un véritable feyman du cœur comme ton chéri qui t’emmène dans tous les coins du monde et pour qui tu n’as plus de superlatifs… »

La lettre truculente et poivrée de Cécilia venait à bout lentement mais sûrement de l’incendie de haine qui dévastait Sébastien. Les mots soignent paraît-il. En début de lecture, ses désirs funestes étaient encore incandescents, à présent, il souriait comme un niais amoureux. Cécilia était face à lui racontant ses histoires et ses moqueries comme un camion sans frein. Sa femme, il s’en rappelait bien, était un vrai moulin à paroles et cette lettre, c’était du Cécilia tout craché ! Les tremblements d’un BlackBerry posé sur la table basse firent sursauter Sébastien. Il jeta un œil sur l’écran du téléphone et vit clignoter « Kobo Jules-Sésar (excellence KJS) ». Il fut spontanément dévoré par une haine plus détestable que celle qui l’avait poussé au meurtre de cette femme. Il balança furieusement l’objet contre le cadre d’une photo géante de La Camerounaise accroché au mur et celui-ci se brisa en mille morceaux de verre. Un méchant regard sur le corps inerte d’Edith Likane Séry stimula son égo. Il était fier comme un peintre inspiré devant la beauté de son oeuvre. Avec son cou planté dans la table par ce surin et toutes ces souillures séchées sur son corps, La Camerounaise ressemblait à une sinistre poupée vaudou. Le souvenir du craquement étrange des cervicales de La Camerounaise sous la pression du poignard enivra Sébastien. « Tu le mérites ! » cria-t-il. La lecture pouvait reprendre…

« (…) La Camerounaise, ma chérie, en plein bécots avec le boss, j’ai failli avoir une crise cardiaque hier soir. Tu ne peux même pas imaginer ! Pendant que lui et moi étions en pelotage (mais gentil pelotage n’oublie pas que les Anglais étaient de la partie), j’entends un bruit de clé qui tourne dans la serrure. C’est qui çà ? Je bondis du lit et je me jette dans un fracas énorme sur la porte juste avant qu’elle ne s’ouvre. Je demande qui est là, j’entends « c’est moi, Jay ! Je suis venu récupérer deux ou trois affaires. » Qu’est-ce qu’il est venu foutre ici Jérôme ? Me voici sur la porte, mes gros nibards plaqués contre le bois, mes grosses fesses, divisées par le string, offertes aux yeux de l’écrivain. J’ordonne à Jay de reculer et de m’attendre dans le hall de la résidence. Je pars ensuite m’habiller, confuse, j’ose à peine regarder l’écrivain. Lui, il est là, tranquille. Il ne s’est même pas rhabillé du genre il est serein comme un capitaine dans un bateau sur une mer calme. Je lui fais signe de la tête de remettre son tee-shirt. Est-ce qu’il m’écoute ? Il s’en fout, il se saisit de son stylo et c’est reparti pour l’écriture. Je sors et je vois Jay, le visage décomposé par une tristesse infinie. Lui aussi, pour qui se prend-il ? On a rompu depuis six mois. Ce n’est pas parce qu’il a encore ses affaires dans ma chambre qu’il peut se permettre des allées et venues à des heures indues. Non mais ! Je lui fais comprendre que j’ai de la visite. Est-ce que j’avais besoin de le lui dire ? Mes cheveux ébouriffés et ma cascade de tout à l’heure, digne d’une pro, l’ont bien renseigné. Il est reparti la tête basse, l’air penaud. Le drame dans tout çà tu sais quoi ? C’est que je n’ai même pas regretté de le voir partir ainsi. J’ai réprimé, pour dire vrai, une moue méprisante qui se dessinait laidement sur ma face. Tu me rétorqueras que trois ans d’un intense love même après six mois de rupture çà laisse forcément des traces. Que nenni ! Rien ! Nothing ! Nichts ! Nada ! Likéfi[12] ! Si je savais dire « rien » en arabe, je l’aurai dit. Néanmoins, devine quoi ? Avant de partir, Jay m’a dit que c’était la troisième fois que je lui faisais vivre ce genre de douleur. Je n’en ai pas cru mes oreilles, ce gars est décidément très gonflé. Laisse-moi rire ! De nous deux qui a souffert dans l’histoire ? Je sais que je suis une coquine, que j’avais au moins trois gars même si lui était le titulaire de mon cœur, que j’ai une multitude de dragueurs que j’utilise comme si je jouais aux cartes, mais ne dit-on pas que les oiseaux du même plumage volent ensemble ? En d’autres termes, je suis infidèle je sais mais, ma copine, sache que Jay l’était tout aussi. Ce gars, il était plus infidèle et plus crazy que moi je te promets.

Je vais te révéler un secret que j’avais enterré jusqu’à la racine de l’oubli pour ne jamais avoir à l’exhumer. Mon Jay-là, son domaine de définition en matière d’infidélité ce sont les femmes de ministres, les femmes de grands patrons, les femmes de pouvoir en gros. Jay que tu voyais, en apparence timide et calme, était un véritable gi-go-lo. Oui, un gig’[13] de première classe. Si j’ai pris la décision d’arrêter tout au bout de trois ans, c’est parce qu’une de ses nombreuses gos (certainement une femme du Pouvoir en place) avait commandité un assassinat sur moi. Copine, tu lis très bien. Moi, Cécilia Kablan, jeune étudiante en licence d’anglais au campus de Cocody, ma petite tête de rien du tout était mise à prix. J’étais une go-wanted[14] dans tout le grand Abidjan-là ! Je te raconte comme çà qu’une soirée, après avoir coupé[15], encore une fois, un vieux bombisseur et décalant[16] vers le campus, une Mercedes V12 gris métallisé vient garer dans un dérapage contrôlé à mes côtés. Je ralentis ma démarche et, tel un paon déployant ses plumes prétentieuses, je bombe ma poitrine narcissique relevée par un soutien serré. On ne savait jamais si un Gunther[17] dans sa voiture avait craqué pour moi et voulait m’impressionner. Mais, ma chérie, au lieu d’un Gunther ce sont trois hideux et puants molosses qui descendent de la Zender[18], me rouent de coups de poings assommants et me kidnappent. En deux trois mouvements, ils m’ont chargée et embarquée comme des manutentionnaires le font pour les colis à expédier. J’ai été conduite dans un terrain vague, mise à genoux et des armes toutes aussi laides que leurs propriétaires braquées sur moi. Quel cauchemar ! Je tentais de me réveiller comme on le fait quand on sait que l’on va mourir dans un mauvais rêve. Mais rien ! Nothing ! Nichts ! Nada ! Ekolo té[19] ! Si je savais dire « rien » dans l’ethnie bacoco de ton Camer, je l’aurai dit. Le cauchemar était très réel, trop réel même. Ma copine, je pleurais, je les suppliais, je criais au secours ! Les loubards ont chargé leurs armes dans un « cric-crac » métallique terrifiant puis un deux a crié : « c’est le moment de la finir ! » J’ai rentré ma tête dans mes épaules et regardant le sol rendu boueux par mes larmes abondantes, je me suis dit que décidément je n’étais que poussière et j’y retournais barbarement. J’ai tellement eu la frousse que ma vessie et mes sphincters anaux se sont relâchés. J’ai fait sur moi. Imagines-tu la honte ? Imagines-tu l’odeur de la honte ?

Ma petite vie misérable défilait devant mes yeux quand celui qui a dit de m’abattre a baissé son arme et a dit : « c’est bon les gars, elle a eu son compte. » « Le Seigneur est merveilleux ! » ai-je crié intérieurement. Mais n’avaient-ils pas prévu autre chose ? C’était trop facile ! Quelqu’un ne pouvait pas me faire une aussi mauvaise plaisanterie. Non, impossible ! Le brigand qui donnait les ordres aux autres s’est planté devant moi. En relevant mes yeux, j’ai rencontré une énorme bosse qui déformait son pantalon. J’ai baissé la tête automatiquement. Très vite il me l’a redressée et placée bien en face de sa convoitise. Son jean dégageait une âcre odeur de graisse et de cambouis que l’on sent habituellement sur les bleus de travail des mécaniciens. Le souffle de sa respiration recelait une bien détestable lubricité.

–    Ma petite, tu vas rentrer chez toi, tu vas rompre avec ton petit Jay et tu vas chercher à ne plus jouer dans une catégorie d’âge qui te dépasse, m’a-t-il dit tout doucement (très gentiment même quand j’y repense). Là où une reine mange, une soubrette ne peut s’y attabler. Si tu t’entêtes, je sais où tu habites, je sais où tes parents habitent, je vais revenir avec mes gars, on va t’enlever, te violer des heures durant et te dépecer. Le même sort sera également réservé à ta mère. Sache cependant qu’elle passera avant toi, et tu assisteras en live au spectacle. As-tu compris ?

Le kidnappeur me tendit trois billets de dix mille francs CFA, un paquet de kleenex puis me recommanda de nettoyer la merde nauséabonde et la pisse dégoûtante qui coulaient en filet sur mes jambes. Sur ce, il m’indiqua le chemin à suivre pour rentrer chez moi, monta avec ses acolytes dans la Merco et ils démarrèrent en trombe.

Ma copine, je ne t’avais jamais dit çà. Il y a des secrets qu’on ne peut révéler aussi facilement. C’est sans doute l’énervement indicible provoqué par les futilités prononcées par Jay, qui a rompu les digues du déshonneur et m’a fait cracher le morceau. Ma chérie, après une telle menace, j’ai rompu illico avec Jay. Que dis-je ! C’est Jay qui a d’abord rompu avec moi. Il est venu me voir le lendemain, le visage boursouflé et tuméfié. Il y avait des grosses ecchymoses autour de son cou comme si quelqu’un venait de l’étrangler. Lui aussi avait dû subir le courroux de sa gnanhi[20]. Ne ris pas je t’en prie ! C’est dans une pluie de sanglots (pour moi, des larmes de crocodile) qu’il m’annonça que nous devions arrêter notre relation. Mais le kamikaze, il rajouta que : « Cécilia mon bébé, on peut continuer à se voir en cachette tu sais ». Copine, je te l’ai giflé à deux reprises et, presque comme un réflexe, je lui ai hurlé que « c’est fini entre nous, dégage ! ».

En conclusion, avec tout ce que j’ai subi, comment ne pas le chasser sans remords ? Comment ne pas effacer complètement de mon esprit tel un reformatage de disque dur trois ans de love ? Et monsieur Jay qui, sans pudeur, va tout benoîtement venir se planter devant moi pour me dire qu’il est une victime offerte au sacrifice expiatoire de ma libération. C’est un malade ! Il voulait jouer sur les sentiments (portés disparus depuis) mais, crois-moi, je n’ai pas été dupe. A cause de ces conneries, La Camerounaise, je me suis même éloignée du sujet. Je reprends dare-dare l’histoire d’hier soir. Mais bon sang, où m’étais-je arrêtée ? »

Sébastien Kouassi, profondément immergé dans l’histoire racontée par la lettre de sa bien-aimée, répondit : « ma puce, tu t’es arrêtée à la partie où l’écrivain et toi vous aviez été gênés par Jay. » Il sursauta et s’interrogea sur ce qui lui arrivait. Il était sûr et certain que sa femme lui avait bien posé une question. Il regarda, effrayé, autour de lui. Cécilia, pour de vrai, était dans la pièce. Il ne rêvait pas. « Je l’ai parfaitement entendue » se rassura-t-il. Il se flanqua quatre grosses gifles pour se remettre les idées bien en place. Il se convainquit alors que l’âme damnée et errante d’Edith Likane Séry voulait se venger en lui jouant des tours, en essayant de le rendre fou. « Tu n’y arriveras pas sale garce » déclara-t-il. De nouveau en colère, il cracha avec une infinie aversion sur la dépouille de La Camerounaise et reprit sa lecture…

« (…) Ah oui ! J’ai retrouvé le fil de mes pensées. Bon, je te narrais plus haut que, dès que Jay a inséré la clé dans la serrure, je l’ai arrêté, je l’ai chassé. Bien, ma sister, me voici maintenant de retour dans la chambre, devant l’écrivain, dissimulant difficilement un gros embarras, une honte non feinte. Je rentre dans la chambre, l’atmosphère est devenue lourde. Il fait très chaud soudain. L’écrivain, la tête plongée dans son bloc-notes, écrit, rature, remet son stylo en bouche et sourit. Avec tout ce qui s’est passé, mon Jean-Marie Adiaffi[21] trouve le moyen d’écrire et de sourire. C’est indiscutable, je suis tombée sur un autre malade mental aussi. « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » me plaignis-je du bout des lèvres, jetant un œil rapide au plafond. Bref, j’avance, je vais me mettre en face de lui mais je le regarde à peine. Il quitte son carnet et me fixe intensément. Je sens une larme de sueur qui perle le long de ma joue comme dans les dessins animés de Walt Disney. Je vis un grand moment de solitude avec la petite musique qui va avec. Si j’avais refusé qu’il dorme chez moi je n’aurai pas eu à souffrir d’une telle honte. De même, si j’avais repris mes clés avec Jay, cela ne serait pas arrivé. Et voilà ! Patatras ! Gbangban[22] pour moi !

L’écrivain esquissa un sourire, je le lui rendis.

–    Eh ben dis donc! dit-il en remuant la tête comme pour me faire comprendre que la situation avait été tendue.

Silence…petits regards…sourires et gestes gauches…silence…

–   Eh ben dis donc, tu dois regretter un peu de l’avoir jeté comme çà hein? me questionna-t-il.

–    Non ! Jay ne vient plus chez moi, il fait exprès de se ramener à n’importe quelle heure pour espérer me surprendre, dis-je.

–    Es-tu sûre ? m’interroge-t-il avec un regard de petite canaille.

–    Oui, sûre et certaine ! je réponds un peu excédée et là, ma sœur préférée, j’ai explosé de colère…

Après mûre réflexion, si je savais ce qui allait m’arriver par la suite jamais je n’aurai dû. Ma copine, je lui ai furieusement lancé au visage qu’il devait être heureux puisque je venais d’écarter un rival très offensif, un rival qui aurait pu le défoncer et lui faire bouffer ses fournitures de petit élève sage et bien élevé s’il avait franchi le pas de la porte. J’ai gueulé comme une tarée que soit il ne m’appréciait guère comme il aimait le prétendre soit c’était un con qui n’était pas ce qu’il dit être c’est-à-dire, un tombeur de ces dames. J’ai ajouté que, dans les deux cas, il pouvait se dire que la porte était grande ouverte. Je venais de chasser un déjà, je pouvais chasser sans vergogne un deuxième. Je lui ai dit qu’il était très amorphe et me faisait penser à ce trentenaire rencontré à Bonoua lors d’un popo-carnaval[23] qui se jouait les Casanova et qui au lit, ne sut même pas satisfaire la petite femme de 19 ans que j’étais. Je l’ai insulté à plusieurs reprises et de la pire des manières : j’ai traité de puits d’ordures le sexe de sa mère. En fin d’hystérie, j’ai fondu en larmes. Ma chérie, autant te dire que je me suis vendue moins cher, que je me suis livrée poings et pieds liés à mon tortionnaire…

Je me suis levée et je suis partie dans la douche me rincer le visage. L’écrivain, quelques secondes après, m’y a suivie furtivement. Pendant que j’avais la tête baissée dans l’évier, il m’a saisie par les cheveux, les a tirés brusquement en arrière, m’a versé l’eau du robinet dans les narines ce qui m’a fait éternuer. J’émis un grinçant cri de douleur à cause de mes cheveux tiraillés. On dirait qu’il voulait me scalper à la force de ses mains. Il a brutalement relevé ma tête, m’a étranglée et a plaqué mon visage contre le miroir de la salle de bain comme s’il souhaitait enfoncer ma tête dans le mur. Le choc sur le miroir diffusa un lancinant bourdonnement dans mon cerveau. Un coup de poing tranchant vint propager à grande vitesse ce bourdonnement dans tout mon corps. Après ce coup, je sentis une main déchaînée se glisser dans le pantalon de mon jogging, le faire descendre avec excitation et écarteler nerveusement mon string. Je sentais, dure et tendue comme un arc, une méchante pointe en train d’interroger mes fesses et je voyais dans le reflet de ses yeux renvoyé par le miroir embué, une toute nouvelle expression, une toute nouvelle histoire : monsieur Séguin allait tuer d’un impudent sang-froid sa douce chèvre.

Pliée dans cette position inconfortable, je voulus résister en lui donnant une sacrée ruade ou en le griffant profondément (mes mains cherchant son visage ou ses bras en vain), je voulus me battre et dire quelque chose, mais les mots que je me préparais à prononcer furent étouffer dans ma gorge par un violent coup de reins. A la place, retentit un feulement éraillé de chatte en chaleur et j’eus cette réaction mécanique de me cambrer encore plus afin de lui offrir un angle plus important de pénétration. Ses ongles me lacéraient le cou, ses coups tonnaient dans mon ventre comme des explosions sur un champ de bataille, ma taille bien prise roulait et tanguait comme une embarcation empêtrée dans une tempête tropicale. Eh ! Copine ! Je ne te dis pas comment tel le prophète Moïse, là dans cette petite douche, il a traversé de manière furibonde la mer rouge de mon bas-ventre pour me tuer comme jamais on ne m’a tuée. Ce fut exquis ! Comment te dire ? Vif et intense, rapide et électrique, précis et foudroyant comme une attaque de reptile. C’était nekh[24] comme aime dire Ramatou notre copine Sénégalaise ! Je n’y vis que du feu et mon corps tétanisé brûlait d’une extase sans borne. Mes jambes, tremblotantes et flageolantes, se dérobèrent sous moi. En tombant, ma tête heurta l’évier et je m’évanouis presque. Là, par terre, quasiment dans les pommes et sans force, mon jogging sur les genoux, mes fesses nues sur le carrelage froid, je frétillais comme un poisson hors de l’eau. Mes yeux, mi-clos, fixaient une forme floue, encore dressée et dégoulinante de liquide. L’écrivain enfonça ses doigts calleux dans mes joues, ouvrit ma bouche et s’y introduit jusqu’à écraser ma luette. Je le repoussai pour ne pas vomir. Au passage, j’avais goûté sur sa peau un mélange unique, une mixture fondante. Il replongea dans ma bouche et je repris volontiers ce bois crémeux que j’aspirai avec une telle avidité qu’il en ricana diaboliquement. Je nettoyai cette arme, bus tout le feu qu’elle avait à m’offrir et la lustrai comme on lustre une vaisselle argentée avec un produit décapant. Ce que mon corps a ressenti était indescriptible, prends çà comme çà. Retiens seulement que j’étais avachie sur le sol de ma douche, terrassée par ce scélérat écrivain. Pendant que je faisais allégeance à sa masculinité comme on peut le faire avec un fétiche, un éclair violent déchira mon âme un peu comme ces fulgurances qui te frappent soudainement l’esprit et te révèlent une vérité éclatante. Oui ! Oui ! Oui ! Quatre fois oui ! A partir d’hier soir, j’étais une pute amoureuse, à partir d’hier soir, je sus que l’écrivain et moi nous vivrions ensemble pour la vie, à jamais, pour le meilleur et pour le pire.

Copine, j’ai maintenant la réponse à la question posée au début de ma lettre. Si l’écrivain était dans mon lit, c’est parce que Dieu l’a voulu. Si l’écrivain était hier soir dans mon lit, c’est parce que les dieux voulaient sadiquement me faire comprendre que c’était lui, l’homme de ma vie. Je n’ai pas d’autre explication. A partir de cet instant, oublie tout ce que j’ai pu te dire sur lui de dénigrant, de médisant. Ma copine, il fallait que je te fasse languir un peu, te transporter très longtemps dans mon histoire ou bien ? Ceci dit, je reste toujours une femme libre et libérée mais je sais que depuis hier soir, je me suis attachée à lui forever[25]. Je vais continuer mes flagorneries avec les autres gars parce que j’ai besoin de sponsors pour mes études mais j’ai trouvé mon futur mari. Il ne saura rien de mes activités de pétasse (notre surnom depuis le lycée n’est-ce pas ?) mais je tiens à te dire que, dès à présent, je suis une pétasse deeply in love[26], plus tard, je deviendrai une vraie lovely wife[27] et, bien plus tard, une future housewife[28] très avenante.

J’ai oublié, avec tous mes incessants bavardages, de te décrire l’écrivain. Ma copine, il est beau (en tout cas une femme normale ne peut pas demeurer insensible) mais ce n’est pas le plus beau des mecs que j’ai rencontrés. Dans mon classement de beaux gars, il doit être en troisième ou quatrième position. Par contre le plus charmant de tous, oui, incontestablement c’est lui. Il est grand (il doit approcher les 1.90 mètres), noir et très costaud. Je suis moi aussi assez grande pour une femme (1.80 mètres environ) pourtant à ses côtés, je suis ridicule, un peu comme une bichette en face d’un lion. Il y a comme un voile épais, obscur et cynique qui le recouvre. Ma chérie, en une nuit j’ai succombé a son satanique sex-appeal. Il me fait penser à Bélial, tu sais ce personnage mythologique roi de l’Enfer, à l’aspect extérieur séduisant, au maintien gracieux, passant pour l’esprit le plus dissolu, le plus crapuleux et le plus vicieux après Lucifer himself. Oui, ma copine, je suis folle amoureuse de ce diable, de mon diable…

Voici ma chérie l’histoire d’hier soir, l’histoire d’hier soir avant que je ne t’écrive comme le fait mon écrivain. La Camerounaise, on dirait qu’écrire est contagieux hein ? On dit que celui qui critique c’est celui qui envie. Etais-je alors en train de l’envier quand je le voyais écrire et que je le critiquais avec ironie ? Au fait, ne l’appelons plus l’écrivain, il s’appelle Sébastien Kouassi, Monsieur Sébastien Christian-Lévi Kouassi. Il est jeune, un peu plus âgé que moi quand même (25 ans et moi, 23), il est en Master dans une grande école de la place. Il a beaucoup de projets en tête pour lui, pour nous deux, pour notre famille. Tu as bien entendu, oui, pour notre future famille. Sébastien est l’homme que j’ai toujours attendu et, au nom de tout ce que je peux avoir de cher sur terre, je me défendrai bec et ongles contre ces voleuses de maris qui pullulent dans Abidjan…

Pour finir, La Camerounaise, une fille pleure toujours quand elle aime, elle pleure toujours quand son intime conviction lui confirme la véracité des sentiments forts qu’elle ressent pour un homme. Même toi ma copine, tu as admis avoir pleuré le jour où Clisthène-Alain t’a serrée tout contre sa poitrine. Et moi, ce 15 février 2002, je pleure à la fin de cette lettre parce que je sais comme une vérité absolue et inébranlable que je l’aime à la folie, que je l’aime à en rire, que je l’aime à en mourir, que je l’aime à en pourrir, que je l’aime, que je l’aime, que je l’aime comme une dévote a une foi inépuisable en  la vie éternelle. Je t’aime ma Camerounaise ! Ta pétasse et fière de l’être…

…Cécilia Affoua Kablan. »

Encore tout estomaqué devant le dernier bout de page qu’il tenait, Sébastien Kouassi relut la lettre depuis la partie de la douche. Il s’en souvenait très bien. Il n’avait pas voulu la violer mais on ne pouvait impunément traiter le sexe de sa mère de puits à ordures. Ce soir-là, ce 14 février 2002, avait été le jour officiel du début de leur histoire d’amour. Une première larme s’échappa et s’écrasa sur le papier comme une bombe atomique, une seconde la suivit, une troisième puis une quatrième et une rivière. Sur la feuille, les lettres disparaissaient en une grosse tâche d’encre noire difforme. Il ramassa les autres pages, les joignit à la dernière et les déchira en d’incalculables petits morceaux qu’il fit pleuvoir lentement sur cette marionnette au cou désarticulé qui gisait à ses pieds. Submergé par les sanglots et vidé de toute énergie, il glissa du sofa au cadavre comme sur un toboggan invisible. Il passa sa main sur les yeux écarquillés de La Camerounaise et rabattit ses paupières tout en répétant « Cécilia dis-moi qui es-tu et pourquoi fais-tu tout çà ? ». Nerveusement exténué, il s’endormit lourdement sur le tapis marocain barbouillé de sang…

Cocody, hôtel Ivoire, trois heures quarante-huit après le crime…

Soro Toxic remonta à pas de loup les escaliers du Top Raphia, il regarda sur sa gauche et sur sa droite, il ne vit personne. Le silence assourdissant qui régnait dans l’hôtel était, de toute évidence, anormal. N’en tenant cure, « qui ne risque rien n’a rien » s’encourageait-il, le journaliste se mit à longer les grands rideaux de la salle des fêtes…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Expression propre au nouchi signifiant littéralement « rien », mais l’usage de cette expression peut recouvrir autant de sens qu’il y a autant de situations dans laquelle, elle est utilisée. Généralement on dit « ya fohi ! » pour dire qu’il n’y a rien, que tout va bien, que tout est sous contrôle. Mais encore une fois, il convient de bien prendre en compte la situation dans laquelle elle est placée et le ton avec lequel elle est employée. Le nouchi est l’argot utilisé dans les rues de la Côte-d’Ivoire. C’est un langage populaire parlé dans toutes les couches sociales de la Côte-d’Ivoire. C’est un mélange de Français, d’anglais, d’allemand et d’ethnies ivoiriennes. Il dispose d’un vocabulaire infini se nourrissant de créations personnelles et propres à certains endroits. Ce qui fait que le nouchi est bien souvent différent d’une commune de la Côte-d’Ivoire à une autre.

[2] Dara veut dire « rien » en wolof, une langue parlée au Sénégal.

[3] Chier à l’église est une expression nouchi (le nouchi est le langage de la rue ivoirienne) qui signifie que l’on est poursuivi par le mauvais œil, qu’on a la poisse tout simplement.

[4] Raser quelqu’un en nouchi signifie lui chiper son petit copain ou sa petite copine, son époux ou son épouse au vu et au su de tous.

[5] Sortilège, enchantement magique en nouchi. Le mot gbass peut recouvrir plusieurs significations toutes tournant autour de la pratique de la sorcellerie. Par exemple, un gbasseur est un sorcier, un féticheur, une âme perfide.

[6] Lap signifie « rire » dans le vocabulaire argotique camerounais. Cécilia entend montrer à La Camerounaise que petit à petit, elle se laisse influencer par elle.

[7] La terminale A2 équivaut à la série L dans le système éducatif français.

[8] Jeunes filles ou jeunes femmes en nouchi.

[9] Se dit de quelqu’un qu’on considère de très mauvaise langue. Mais, en nouchi, il ne faut surtout pas oublier de se référer au ton employé dans la discussion car, le ton employé change beaucoup la signification d’un mot qui, a priori, a une connotation négative. Dans le texte ici, Akpesmandi est utilisé dans un ton amical par la narratrice.

[10] Sandwich apprécié par les élèves et étudiants ivoiriens.

[11] Dans les croyances mystiques ivoiriennes, le mari de nuit est un esprit maléfique de l’au-delà  qui noue une relation amoureuse avec une femme sur terre. Tous les soirs, cet esprit maléfique vient sur terre retrouver sa belle pour une nuit d’amour puis repart. Très possessif, il empêcherait par des moyens très violents toute autre histoire d’amour sur terre avec la femme dont il s’est épris.

[12] « Rien ! » en nouchi. C’est un terme tiré du vocabulaire baoulé et passé dans le vocabulaire nouchi. Le baoulé est une ethnie du centre de la Côte-d’Ivoire.

[13] Diminutif de gigolo en nouchi.

[14] En nouchi, une go-wanted est une go recherchée soit pour être bastonnée par ses rivales soit cataloguée comme étant une briseuse de foyer. Le vocabulaire nouchi est inépuisable et très fertile. Ici, nous pouvons voir qu’il se nourrit de la langue anglaise.

[15] Couper en nouchi signifie arnaquer.

[16] Décaler en nouchi signifie partir, s’enfuir, rejoindre.

[17] Gunther signifie en nouchi, une personne très riche et très politiquement puissante.

[18] Diminutif nouchi de la Mercedes-Benz.

[19] Ekolo té veut dire « rien » en lingala, une langue du Congo. Cécilia arrive à dire rien en lingala parce que le nouchi a capté dans son vocabulaire quelques mots de cette langue parlée par les nombreux Congolais vivant en Côte-d’Ivoire.

[20] Une gnanhi dans le langage nouchi est une femme riche et puissante d’un âge mur qui entretient un jeune gigolo. Elles ont été rendues célèbres par le titre éponyme du chanteur zouglou Petit Denis.

[21] Célèbre écrivain ivoirien (1941-1999) à la renommée internationale. Connu pour ses écrits lumineux et ses prises de parole publiques érudites et très souvent impertinentes.

[22] Un gbangban en nouchi signifie un problème, un souci, une situation à querelles.

[23] Le popo carnaval est une manifestation culturelle du peuple abouré (au sud de la Côte-d’Ivoire) durant une semaine au cours de laquelle les hommes se déguisent en femmes et parcourent la ville. Durant cette festivité prisée par beaucoup d’Ivoiriens et de nombreux touristes, il y prévaut une certaine attitude licencieuse qui fait son succès.

[24] Nekh veut dire bon en wolof une langue parlée au Sénégal.

[25] Pour toujours.

[26] Profondément amoureuse.

[27] Une charmante épouse.

[28] Femme de foyer ou ménagère.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 7

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 14, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 6: Sébastien Kouassi, le coeur à la haine, faisait des révélations troublantes dans son « testament »…

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancBiétry, non loin d’une villa rose située à deux rues de l’établissement d’enseignement secondaire Notre Dame d’Afrique, dix heures avant le crime…

A travers les grillages de leur échoppe, Amadou et Bouyé épièrent d’un œil curieux un garçon dégingandé, bardé de bijoux en or, s’avancer vers eux. A leur hauteur, il les apostropha d’une voix efféminée et piquante.

–          Hé, Mauritaniens là ! Donnez-moi tout de suite deux bouteilles de coca-cola bien frappées. Les deux boutiquiers se jetèrent pendant de longues secondes un regard interrogateur et choqué.

–          Dépêchez-vous ! hurla-t-il. En deux temps trois mouvements ils s’exécutèrent, se demandant encore de quelle planète provenait ce grand dadais. Une fois servi, Chico Sexy leur tourna le dos avec arrogance et regagna la villa rose sous les « Allahou Akbar » conjurateurs des deux marchands.

Biétry, dans la villa rose, quarante-cinq minutes avant l’assassinat de La Camerounaise…

Chico Sexy après avoir placé les boissons dans le réfrigérateur, vint s’asseoir en face d’Edith Likane Séry alias La Camerounaise qui, télécommande en main, était allongée dans un énorme divan en skaï beige. Sur une table basse à côté, un petit pot à stylos en forme de vache était posé sur une vieille enveloppe kaki de taille moyenne sur laquelle était inscrit en lettres capitales mais dans une encre quasiment effacée « POUR MA PETASSE, TA PUTE CECILIA ».

Les yeux rivés sur un épisode des « Feux de l’amour », Edith Likane Séry soupira pour une raison inconnue puis délivra en douceur un gaz pestilentiel. Dans cette atmosphère saturée, Chico Sexy la dévisageait avec amour bénissant en secret le jour de leur rencontre. Une nuit, à la mi-mai 2007, La Camerounaise avait bravé courageusement une foule hostile qui voulait en finir avec ce junkie homosexuel surpris en plein exercice dans les toilettes dégoûtantes d’un bar. Avec une farouche détermination, elle fit évacuer la place et disperser la foule. « Comment t’appelles-tu jeune homme ? » lui demanda-t-elle. « Chico. Tantie je m’appelle Chico » répondit-il. La Camerounaise se prit d’attention pour ce frêle jeune homme aux traits fins et féminins. Elle lui demanda son âge. Il affirma d’une voix fluette n’avoir que 20 ans puis de confesser craintivement n’avoir jamais couché qu’avec des hommes parce que se sentant femme dans son âme. « Je suis désormais ta marraine, tu n’auras plus jamais peur de t’afficher mon petit. » lui jura-t-elle. Joignant l’acte à la parole, elle l’hébergea dans un studio à Treichville sur la rue Nanan Yamousso, premier cadeau offert par Le King quand il la vit. Elle le nourrit, le soigna, le blanchit, le vêtit et l’inscrivit grâce à un bras-long[1] au lycée Hôtelier de la Riviera Golf. Deux mois plus tard, subjuguée par sa beauté, elle le rebaptisa tout sourire, Chico Sexy. Il devint rapidement dans les mois qui suivirent, l’icône homosexuelle de son agence secrète de compagnies coquines. Chico Sexy, de son vrai nom Guédé Jean-Louis, vint se blottir contre sa marraine nullement surprise. « Tantie, je rêve jour et nuit de ta promesse. J’attends ce moment avec impatience » lui souffla-t-il la larme à l’œil.

–          Fais-moi confiance mon petit Chico Sexy. T’ai-je une fois déçu ?

–          Jamais ! Tu ne m’as jamais déçu ma marraine chérie, répondit ce dernier, le corps secoué par des sanglots.

Les larmes de Chico Sexy roulèrent sur la joue de La Camerounaise. Elle y sentit de l’amour, de la joie, de la foi et de l’espoir.

–          Bien ! Sèche moi ces larmes, tu perds de ta beauté sinon. Laisse-moi toute seule maintenant mon Chico, j’ai de la visite. Vas-y ! Est-ce que tu entends comment la semaine prochaine annonce une nouvelle vie heureuse mon petit queer[2] ? La Camerounaise caressa les cheveux de son pédé préféré et lui déposa sur les lèvres, un baiser maternel…

En le regardant partir, La Camerounaise se souvint de cette promesse fermement tenue deux semaines plus tôt : « mon Chico, très bientôt je t’emmènerai au Brésil où tu subiras dans la clinique d’un grand chirurgien une opération de changement de sexe. Tu ne seras plus mon Chico Sexy mais ma petite Chica Guapa[3]de Treichville. Tu deviendras une femme comme tu l’as toujours voulu hein. » Elle se souvint des cris de joie de son Chiquito et de ses « c’est vrai ? C’est vrai çà tantie ? » Mais avant, Cécilia, sa sœur adorée, devait lui rapporter une manne de quarante millions de franc CFA, recette d’une nuit sexuelle hardcore…

Marcory, Boulevard Valéry Giscard d’Estaing, chez un opérateur de téléphonie mobile, douze heures avant le crime…

Serges Boli, de son bureau du premier étage, regardait la voiture de son ami Sébastien franchir la barrière électrique coulissante puis s’engouffrer dans le torrent automobile bruyant du VGE[4] pour une destination inconnue. Il tomba lourdement dans son cossu et chic fauteuil de bureau lâchant un très coupable « merde alors ! Je savais, je savais, je savais, je savais qu’il le découvrirait brutalement, comment aurais-je dû ou pu éviter çà ? » Sa mémoire régurgita aussitôt amèrement cette douloureuse vision d’une nuit comme la mer recrache sur le rivage, tôt ou tard un jour, les petits ou gros blocs visqueux et pollueurs des marées noires.

Un samedi très tard la nuit, un mois environ avant ce jour, il surprit Cess comme il aimait l’appeler dans une situation bizarre et dans un endroit inapproprié. Lui, se rendait chez Fanny Dupuis, une salariée française détachée dans sa boîte avec qui il vivait une love-story très discrète. Fanny habitait dans un des immeubles de la Résidence Le Marigny située sur la rue de La Canebière à Cocody, à maximum un kilomètre de la PISAM[5]. De son balcon qui surplombait la route de la corniche, tous deux contemplaient parfois les reflets angoissants mais romantiques de la ville-lumière qui ondulaient sur le miroir de la lagune Ebrié.

Serges Boli, déjà en esprit à Cocody mais surtout exalté par la voix puissante et captivante de Brian McKnight, ne se rendit pas compte tout de suite de son allure excessive. En provenance de Treichville à bord de sa Audi A3 d’occasion, il traversa le boulevard lagunaire comme un pilote de formule 1. Lancé à vive allure, il ne vit que tardivement le SUV[6] Infiniti FX couleur d’or en attente du feu vert à la montée du lycée technique. Il écrasa la pédale de frein et la voiture s’immobilisa, après un long et strident crissement de pneus, pile poil derrière le SUV, l’égratignant légèrement…

Les passagers de la voiture ne se rendirent même pas compte qu’ils avaient frôlé un grave accident, occupés à s’embrasser. Dans l’Infiniti FX, la femme avait baissé le pantalon de son partenaire et chevauchait son fidèle destrier. L’homme, bientôt à l’apothéose de cette cavalcade orgasmique et tétanisé dans son siège, tenta de s’agripper à ce qu’il eut pu toucher ou saisir. Maladroitement, il fit descendre les vitres automatiques. Serges Boli tomba médusé sur l’explosion de l’homme et rencontra les yeux ébahis de Cécilia qui achevait avec frénésie son galop. « M…mm…ma…mm…mais…Cess… » bégaya-t-il. Il remonta comme un somnambule dans sa caisse, rentra chez lui à Treichville oubliant son rendez-vous galant. Le samedi suivant, ironie du sort, ce fut son tour d’éjaculer et jouir comme un chien enragé dans la femme de son meilleur ami, bégayant à nouveau ce « M…mm…ma…mm…mais…Cess… » C’était la seule idée trouvée par celle qu’il appelait affectueusement Cess pour tuer dans l’œuf toute tentative de révélation de sa part. Et, elle avait su être convaincante.

Aujourd’hui, devant les vérités de cet ordinateur et la détresse de son pote, il avait feint l’étonnement, tenté de prodiguer des paroles sagement hypocrites et d’apporter un mensonger secours. Il regrettait de tout son être cet acte de traîtrise. L’index placé sur les lèvres comme pour dire à quelqu’un de se taire, les yeux au plafond, il pensa sans cesse que « si Sébastien sait çà je suis foutu… »

Biétry, de retour à la villa rose, trente minutes avant le meurtre de la Camerounaise…

Edith Likane Séry avait installé Sébastien Kouassi dans un des deux sofas qui faisaient face au divan en skaï beige et apportait maintenant les boissons ramenées par Chico Sexy. Elle s’assit dans le sofa libre à côté de Sébastien, Elle lui fit encore ses mêmes compliments, sans savoir que ceux-ci firent peu à peu déborder la pulsion meurtrière de Sébastien,  avant de demander les nouvelles comme on dit. Sébastien avoua d’entrée de jeu qu’il était très mal et voulait parler ce vendredi de choses sérieuses.

–          La Camerounaise, je vais m’ouvrir à toi comme je n’ai jamais fait. Je te demande de jurer sur ta foi religieuse que tu seras honnête avec moi, dit-il.

–          Juré Sébastien ! répondit-elle en se signant.

–          Tu vois La Camerounaise, je ne t’ai jamais dit mais nous avons le même âge ou tu dois avoir au max un an de plus que moi. Ma nature timide a toujours fait de moi quelqu’un d’effacé parce que n’aimant pas les embrouilles.

–          Mais non Sébastien ! J’ai toujours eu des infos me faisant état de ton autorité, de ta force de conviction. Ne dis pas çà !

–          Ok je ne dirai plus çà, mais en matière féminine, je n’ai jamais trompé Cécilia ni même regardé une fille autre qu’elle. A part cette nana rencontrée au concert de Fally Ipupa en novembre 2007 au Palais de la culture.

–          Ah bon ! Cécilia ne m’a jamais rien dit à propos d’une telle fille. Il racla sa gorge et lui révéla que sa chérie n’en savait rien et ajouta « écoute-moi, je t’explique. »

–          Quand Fally Ipupa entama sa chanson « le prince de southfork », une belle jeune fille se pencha sur moi et me fit un bisou dans le cou. Je me retournai pour voir qui était l’audacieuse et, elle me lança un baiser éclair que Cécilia ne vit pas. Je ne réagis point aussi pour ma charge. Honnêtement, j’avais apprécié l’audace mais ce n’est jamais allé plus loin parce que je ne l’ai plus revue. Dis-moi, qui est Kobo Jules-Sésar pour Cécilia ?

La question surprit La Camerounaise qui bredouilla des « je n’ai pas bien compris excuse-moi, j’étais distraite à ce moment, tu peux répéter s’il te plaît! ». Sébastien répéta calmement sa question et, La Camerounaise, faussement souriante, ne manqua pas de relever qu’il passait très vite du coq à l’âne.

–          Je sais que c’est un avocat réputé et défenseur des intérêts du PIF mais tout çà je l’ai appris à la télé. Je ne vois aucun lien avec Cécilia.

Et là, Sébastien sortit l’historique des échanges de sms entre Cécilia et KJS comme un joueur de cartes sort son joker…

La Camerounaise fut déroutée, bégaya de longues secondes, chercha une réponse à donner puis dirigea sa main dans l’entrejambe de Sébastien. Elle avoua que Cécilia était une sainte nitouche qui ne l’avait jamais apprécié a fortiori aimé. « Sébastien tu as été floué par cette fille sur toute la ligne » renchérit-elle. Elle révéla lire dans les yeux de Sébastien et voir la flamme du désir qu’il avait pour sa plastique. Elle affirma alors être prête à offrir ce qu’elle avait su garder au chaud pour lui parce qu’attirée par son charme magnétique depuis longtemps. Pour prouver ses dires, elle se mit nue, dégagea le plateau des boissons sur la table basse et le gratifia du plus beau décor incliné et ouvert qu’il vit de sa vie. Même le corps de Cécilia, une œuvre d’art, n’était rien à côté de ce chef-d’œuvre divin. La nature humaine se dévoila sous la forme d’une violente érection. Il se déshabilla. La Camerounaise reposa sa tête sur l’espace vide de la table et ferma les yeux pour signifier qu’elle était prête au plaisir. Il ramassa sa longue chevelure en un grossier chignon qu’il tint d’une main ferme comme le cavalier avec les brides d’une jument. Il se rapprocha d’elle, son sexe lécha l’ouverture promise et en silence…un long couteau effilé transperça la nuque de La Camerounaise. Tchac ! Un dernier tremblement de corps et la vie s’échappa du corps d’Edith Likane Séry. La Camerounaise sentit juste une lame froide, une lame froide qui la tua en traître comme elle l’avait toujours été avec son assassin

Sébastien enfonça l’arme blanche profondément dans la nuque de cette femme inerte. Il y faisait tourner le poignard comme un tournevis pour un meuble à monter tandis qu’un trou béant et horrible se dessinait. Le sang giclait comme dans un puits de forage de pétrole. Sébastien, criant en silence la victoire de sa folie, jouissant telle la dernière des raclures de psychopathes, fit l’amour au macchabée dans toutes les positions qui lui vinrent à l’esprit. Rassasié d’une première partie de vengeance ignoble et rationnellement inexplicable, il se releva et vit sur la table, une vieille lettre maculée de sang « POUR MA PETASSE, TA PUTE CECILIA ». Il déchira l’enveloppe et se mit à la lire…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Le bras-long est une expression de l’argot ivoirien qui signifie user d’influence pour obtenir une faveur qui, en suivant les lois et règlements, n’aurait en principe jamais abouti.

[2] Lire [kwir]. C’est un anglicisme qui présent les gays comme des personnes branchées.

[3] Jolie fille en espagnol.

[4] Le VGE est le diminutif du Boulevard Valéry Giscard d’Estaing qui est une des plus (sinon la plus) grandes et longues  artères d’Abidjan voire de la Côte-d’Ivoire.

[5] Polyclinique Internationale Sainte Anne-Marie. C’est un établissement hospitalier très réputé pour la qualité des prestations fournies qui se trouve dans le quartier huppé d’Abidjan qui s’appelle Cocody.

[6] Le SUV (Sport Utility Vehicle) est un véhicule différent du 4*4 en ce sens qu’il a par définition une vocation et une motorisation sportive et possède en plus des capacités extraordinaires de véhicule tout-terrain. En bref, il est aussi performant sur routes carrossées qu’en tout-terrain.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 6

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 12, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 5: trente minutes avant la double détonation mortelle, tapi dans sa Toyota, Sébastien Kouassi regardait une scène d’adultère qui le mettait hors de lui.

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancYopougon, dans la forêt du banco, trois heures après le crime…

Revenu de sa folie furieuse avec une bouche ensanglantée, Sébastien Kouassi décida de reprendre le fil de son histoire, de son « testament ». Après un petit moment de réflexion, les lèvres repliées pour sucer et arrêter l’écoulement sanguin, il se remit à écrire :

« si la curiosité est, dit-on, un vilain défaut, je vous assure que celle d’une personne qui se sent cocufiée est une bien méphistophélique conseillère. Quand j’eus terminé de lire le texto inquiétant de ce KJS, je passai au peigne fin tous les autres messages, peu importe les destinateurs. Je tombai sur un tas d’autres trucmuches de la même farine. Le même KJS ! Les mêmes déclarations ambigües ! Mais, ce sont quatre sms envoyés par La Camerounaise qui déclenchèrent ma folie furieuse. A y repenser, j’ai honte d’avoir laissé aujourd’hui mon collègue Serges Boli les lire sur mon ordinateur.

Je connaissais très bien La Camerounaise. Cécilia m’en avait tant parlé. D’après ma femme, elle dégageait une autorité naturelle qui vous faisait baisser les yeux en croisant son regard. La première fois que je l’ai vue, c’est lorsqu’elle nous accompagna, Cécilia et moi, le jour du gala annuel de Pigier en juin 2002 qui se tint au palais des congrès de l’hôtel Ivoire. Je devais y recevoir un prix. Ah ! L’hôtel Ivoire. Théâtre d’amour théâtre de mort. J’étais fier d’avoir dans mon cortège de si belles plantes. Je me souviens de tous ces regards médusés, hypnotisés par deux beautés à mes bras. C’est de là que naquit ma réputation dans le tout Pigier. La Camerounaise était une amie de fac de Cécilia. Elles s’appelaient « ma pétasse » comme on dit « bâtard là » à un de ses amis proches. La Camerounaise devait, je pense à l’époque, être en licence ou maîtrise de droit ou de sciences-éco. Je ne me souviens plus trop. Sur le campus de Cocody, il y avait beaucoup de supputations à son encontre. Les gens disaient qu’elle jouait de ses formes d’awoulaba[1] auprès des professeurs et des hommes politiques du pays. Tantôt une personne disait qu’elle était la maîtresse attitrée du Président de la République, tantôt une autre disait qu’elle était la lesbienne favorite de la First Lady. Moi, ce que je voyais, c’était qu’elle vivait très au-dessus du niveau de vie de l’étudiant ivoirien. Tout le reste m’était égal et piteusement dénigrant. Bref, avant ma rencontre avec Cécilia, elles étaient des copines de longue date. C’est d’ailleurs Cécilia qui m’expliqua, un dimanche, la provenance de son surnom La Camerounaise. Hôtesse d’accueil au premier salon des hommes d’affaires africains de février 1999 à l’hôtel Ivoire (encore !), elle y rencontra un investisseur Camerounais qui changea sa vie. Il s’appelait Clisthène-Albert M’bomé. Un homme de petite taille, séduisant, élégant, une barbe à la coupe parfaite, le verbe facile et soutenu, un génie, d’après Cécilia, comme rarement on en voit. Au début, elle se laissa éblouir par l’opulence, la classe et le charme de l’homme. Puis, plus tard, quand il lui révéla tout des escroqueries qu’il pratiquait, elle en tomba éperdument amoureuse. Alors, elle ordonna à Cécilia de ne plus jamais l’appeler par un autre sobriquet que La Camerounaise. Clisthène-Albert M’bomé était, en réalité, le roi des feymen[2], le roi de ces escrocs financiers Camerounais, le roi de tous ces Bernard Madoff africains qui parcouraient la planète. Il était tellement doué et audacieux que ses pairs le surnommèrent le King. Sa renommée mondiale lui valut l’affichage de son portrait-robot dans toutes les plus grandes polices du monde sauf que, paradoxe de l’histoire, il jouissait d’une protection parallèle de ces mêmes services de renseignement occidentaux…

…Cécilia m’a raconté cette histoire avec tellement de ferveur et d’admiration que je me demande encore si elle n’avait pas envié jalousement La Camerounaise. Elle décrivait les situations comme si elle avait été présente. La connaissant, je sais qu’elle a dû rajouter sa poudre de piment à l’histoire réelle. D’après Cécilia, La Camerounaise accompagnait le King dans tous ses voyages et connaissait presque toutes ses techniques. Elle était plus informée que n’importe quel agent secret. C’est comme çà qu’une fois vers la mi-décembre 1999, elle appela Cécilia depuis un palace six étoiles de la Thaïlande pour lui dire de faire des provisions en quantité en raison de l’imminence d’un coup d’état. Cécilia pouffa de rire à l’annonce de cet irréalisable pronunciamiento. Dix ans plus tard, on sait ce qu’il en a été.

La Camerounaise lors de ce gala de 2002, était venue nous faire ses adieux parce qu’elle s’installait définitivement au Cameroun avec la sœur du King. Nous étions arrivés à bord d’une Audi A8 quattro 4.2 bleue nuit  que conduisait un chauffeur baoulé du nom de Koffi. En tout cas, c’est ainsi que l’avait appelé La Camerounaise pour lui ordonner de nous emmener manger au restaurant 331 à Cocody quelques heures auparavant. Le repas était copieux et arrosé. Tout le long de ce dîner, j’étais muet comme une carpe parce qu’intimidé par cette nana étincelante de style et de luxe. La Camerounaise me faisait des compliments, disait que Cécilia était la meilleure femme que j’eusse choisie, lui faisait dans le même temps des petits clins d’œil coquins, essayait par tous les moyens de me tirer un mot, une phrase. Elle ne récoltait que des sourires pusillanimes. Disons le tout net, au milieu de ces sirènes sulfureuses, je faisais tâche. J’étais un gaou[3] ! J’étais un gaou comme le frère de La Camerounaise, un certain Jean-Bertrand, Jean-Bernard ou Jean-Benoît qui, engoncé dans un costume trois-pièces, avalait gloutonnement son attiéké-poisson braisé et vidait brutalement comme un soudard, la bouteille de valpierre à ses côtés. Nous ne vîmes plus La Camerounaise jusqu’à un soir de mars 2007 devant le cinéma La Fontaine de Sococé, aux deux-plateaux. Elle avait appelé Cécilia et nous y avait donnés rendez-vous. Elle avait perdu beaucoup de ses formes mais avait conservé toujours cette classe et cette attitude altière qui faisait d’elle, malgré tout, une femme séduisante et franchement attirante. Cécilia courut vers elle, tomba dans ses bras et toutes deux fondirent en larmes. Nous nous assîmes au restaurant, elle nous proposa à boire, me fit comme d’habitude de sincères compliments puis là, nous narra tout…

…La Camerounaise commença par nous décrire le château dans lequel elle avait vécu, les faveurs dont elle jouissait, les éminentes personnalités qu’elle avait rencontrées. Elle nous révéla même qu’une nuit elle était partie avec son Clisthène-Albert M’bomé rencontrer le Président Biya en personne pour lui remettre une valise de dollars en guise de petit cadeau demandant en contrepartie sa protection. Sauf que de protection, il n’eut rien ou presque. En juin 2004, Clisthène-Albert fut arrêté et écroué au Yémen où il était parti faire ses tours de prestidigitations financières. Mais il leur avait laissé suffisamment de quoi vivre. Et puis, la sœur de son chéri en bonne gestionnaire avait fait blanchir et fructifier le pactole. Elle avait créé une entreprise de BTP qui l’avait rendue encore plus riche que son frère. C’est comme çà qu’elle s’occupait de toute la famille M’bomé, de son frère emprisonné, de moi et de nos jumeaux. Oui, nous avions très bien entendu nous dit-elle, elle avait eu des jumeaux avec Clisthène mais ils ne se verraient jamais. Elle avait sur le « jamais » appuyé son intonation, puis s’était murée dans un silence pesant annonciateur d’un déluge de pleurs. Après de longues minutes de chaudes larmes, elle poursuivit son récit. Un soir de novembre 2005 vers 21 heures, dans leur triplex du carré des constructions VIP du quartier Bonapriso à Douala, des individus armés jusqu’aux dents firent silencieusement irruption, décapitèrent sauvagement et méthodiquement toute la maisonnée dont ses jumeaux d’à peine deux ans et Jeanne M’bomé, la sœur adorée de Clisthène-Albert, que tout le Cameroun appelait la princesse M’bomé à cause du pseudo de son frère. Que pouvaient entendre ou voir les voisins ? La clôture haute et gigantesque avait empêché toute diffusion sonore. Comment s’en était-elle tirée ? « La providence tout simplement » avait-elle dit en soupirant. Elle avait envisagé depuis fort longtemps de rendre visite à une de ses servantes qui était malade. Aussi, quitta-t-elle la maison vers 20 heures 30 après avoir bordé ses enfants dans leur lit et embrassé sa belle-sœur, la renseignant au passage sur sa destination. D’après La Camerounaise, la servante malade, surprise et heureuse de voir sa patronne à cette heure peu indiquée de la nuit à New Bell, ce quartier populaire et mal famé de Douala, la reçut comme une princesse. Après le dîner, elles regardèrent la télé quand à 22 heures 30, un flash spécial annonça la découverte macabre. Aussitôt, elle se dit que les sicaires étaient à sa poursuite, paniquée et en état de choc, elle perdit connaissance. Elle nous raconta sa vraie crise de folie, nous confessa ne devoir la vie qu’à cette servante qui non seulement l’avait cachée dans tous les miteux secteurs de New Bell mais plus encore, s’était démenée pour lui faire quitter le pays en douce. Et tout doucement, de retour dans son pays natal, elle se referait une santé financière avec quelques projets juteux à mettre en place. Si j’avais su plus tôt que ses projets étaient sordides, si j’avais su plus tôt que ma femme serait la pierre angulaire sur laquelle La Camerounaise bâtirait son empire de débauche, si j’avais su plus tôt, si j’avais su…

Sébastien Kouassi laissa tomber son stylo pour se mordre les doigts au sens propre de l’expression. Il s’en voulait de ne pas avoir ouvert les yeux à temps.  Une bonne minute après, il repartit furioso dans ses révélations.

Le premier des sms de La Camerounaise parlait de création d’une entreprise de sponsoring d’événements culturels en association avec des Libanais. Mais le sms soulignait plus loin qu’il était, en fait, question d’une couverture pour une agence d’escort-girls dirigée et financée par de véreux partenaires Libano-Syriens. Ce message se terminait par « il y a des relations et beaucoup, je dis bien beaucoup d’argent à se faire ma pétasse. Tu seras l’icône de l’agence. Je te réserverai les clients de choix. N’oublie pas que dans une de tes anciennes lettres, tu m’as certes avoué aimer à la folie Sébastien mais que tu restais une pétasse pour la vie. Ne me laisse pas tomber ma sœur de sang ». Le second message félicitait Cécilia. Le client, un constructeur Libanais, n’avait jamais connu une fille aussi dégourdie et insatiable. Il avait alors assuré de faire la publicité de la maison ici et ailleurs. Ce long texto finissait par « j’ai ouvert ton compte secret comme prévu à la Banque Atlantique. Dans le paquet que je t’ai remis tu as tout le détail. Pour de plus amples renseignements, tu as le numéro de mon homme de main là-bas, Billy Kouadio-Dan. Alors çà fait quoi d’avoir cinq briques de francs CFA sur son compte ? Espèce de pute de luxe professionnelle lol. » Le troisième message disait : « un puissant homme d’affaires Ivoirien a flashé sur tes photos. Il te veut, il te veut ma grande. C’est le jackpot ! C’est Kobo Jules-Sésar en personne. » Le quatrième et dernier texto, datant de trois jours, était, lui, d’une obscénité insupportable. Je vous le donne en entier : « alors mon égérie comment va ? Ce week-end, tu seras seule face à quatre hommes. Vingt millions pour toi ! Sans compter les bonus en cadeaux de tout genre. Un dîner avec KJS d’abord en amoureux. Ne me dis pas que tu vis une histoire à la pretty woman ? Ensuite, ses amis du gouvernement et lui te transformeront pour ta dernière sortie en esclave d’une expérience sado-maso inédite. Promis juré ! Après çà on ferme boutique. Je t’aime ma pétasse, ta sœur adorée La Camerounaise. »

Depuis trois jours donc je ne pus fermer correctement les yeux. Je me demande même comment je me suis contenu. Je vivais un mauvais rêve. Ce n’était pas possible ! Cécilia ne pourrait jamais faire çà. A défaut, pouvais-je accepter une infidélité même régulière, personne n’est parfait, mais imaginer ma Cécilia dans des postures immorales, attachée, fouettée et souillée par des semences répugnantes, c’était trop pour moi. Trop pour ma tolérance et ma sagesse. Trop et beaucoup trop, même si c’était sa dernière sortie. Le tribunal de ma conscience jugea alors fermement que Cécilia devait mourir sans pitié. « Et moi avec ! » murmurai-je. Mais avant, et plus que ma femme, une autre avait été aussi condamnée à mort pour tout le mal qu’elle m’avait fait, pour toutes les hypocrisies subies depuis le premier jour de mon love. Après avoir acheté le .44 Magnum à Adjamé, et avant de téléphoner à La Camerounaise, j’appelai mon collègue Serges Boli. Sa voix gênée m’indiqua qu’il avait bel et bien tout lu.

–          Allô ! Serges dis-je.

–          Oui…oui…Sébinho. Je…je…je…ne sais pas quoi dire ? Je n’ai pas envie d’ajouter un mot qui va te faire de la peine.

–          Je reste chez moi mon gars, je suis malade ! dis-je férocement. Trouve un mensonge à raconter au boss.

–          Oui…oui…oui répondit-il de manière apeurée. J’espère que tu ne vas rien faire de mal Sébinho. Je t’en prie garde ton calme.

–          Je veux juste lui parler Serges, ne t’inquiète pas.

–          Tu es sûr ? Sébinho, je t’en prie, reviens au bureau. On va en parler à huis clos pour percer l’abcès, pour que je prenne ta douleur, pour que j’absorbe ta peine et te déleste d’un poids.

–          Laisse tomber papi, je suis calme. Je ne vais rien faire.

–          Ok ! Je vais dire à la chef que tu es souffrant. Mais djo, pardon ne fais rien. En sortant du bureau tu m’as dit que tu partais la tuer à son job. Ne fais ri…. Serges Boli ne termina pas sa phrase, une tonalité d’interruption coupant son dernier mot. Je raccrochai sans attendre pour ne pas me laisser amadouer par les paroles de prudence de mon ami. Mon cœur était en éruption, mes yeux crachaient des larmes volcaniques qui refroidissaient sur mes joues et se transformaient en scories criminelles. Le juge de ma conscience avait rendu son verdict fatal et cette sentence de mort devait s’abattre, en premier lieu, à Biétry chez La Camerounaise…»

Biétry, non loin d’une villa rose située à deux rues de l’établissement d’enseignement secondaire Notre Dame d’Afrique, dix heures avant le crime…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Le terme awoulaba nous provient du Sud de la Côte-d’Ivoire réputé pour avoir des femmes belles,  d’un teint noir comme du jais, grandes, aux formes plantureuses et généreuses.  Le nouchi a capté dans son vocabulaire cette expression.

[2] Feyman (pluriel, les feymen) est un terme issu du vocabulaire argotique camerounais pour désigner un escroc financier spécialisé dans la technique du Wash-Wash qui consiste à duper un individu en lui faisant miroiter la possibilité d’avoir beaucoup d’argent en lavant des billets dits sales avec un liquide miracle que seul détient le feyman.

[3] Gaou en nouchi signifie idiot, sot.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 5 (la suite)

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 12, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans la 1ère partie du chapitre 5: Sébastien Kouassi jusqu’au dernier moment se disait que ce qu’il voyait n’était pas réel. Il tenta le dernier appel de l’espoir mais en vain…

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancA quelques encablures du camp de gendarmerie d’Agban, trois heures après le crime…

Dans le grésillement de la radio de la Nissan Pick-up Vintage lancée à vive allure sur l’échangeur dans l’axe Plateau-Yopougon, on entendait passer en boucle un appel d’urgence : « OPJ[1] Kilo Bravo[2] ici agent Delta Yankee[3] depuis l’hôtel Ivoire. Message urgent. A vous. » Sandy Nini, les bras solidement fixés sur le volant, le pied au plancher attira l’attention de l’inspecteur Bouazo. « Chef, je pense que c’est pour vous » dit-elle de sa voix de mâle. Tiré d’une petite torpeur, celui-ci ôta l’appareil de son kit d’accroche.

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Transmettez. A vous.

L’agent Diomandé Youssouf informa l’inspecteur que, durant une ronde de routine où il vérifiait que les rubalises[4] n’avaient pas été franchies et l’affaire tenue discrète auprès des témoins, il avait remarqué un individu de taille moyenne vêtu d’une tenue de réceptionniste, regarder avec insistance les enquêteurs en plein travail puis, les prendre discrètement en photos avec un téléphone portable sophistiqué. Il était en train de s’approcher de lui quand, l’apercevant, le réceptionniste rangea précipitamment son appareil et s’en alla la tête basse. Cependant, en le regardant s’éloigner silencieusement, il était sûr et certain de l’avoir reconnu. C’était le journaliste Soro Amadou Ghislain alias Soro Toxic qui était passé sous ses yeux.

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Répétez tout après individu de taille moyenne. A vous.

–          OPJ Kilo Bravo ici agent Delta Yankee. Roger[5]. Signale avoir reconnu en tenue de réceptionniste journaliste S…or…o To…x…i…c.

Juste au moment de prononcer le nom de Soro Toxic, un incident de transmission altéra la qualité de la réception audio. L’agent Diomandé Youssouf termina normalement son information par un « à vous » mais, au même moment, dans la voiture, l’inspecteur secouait et frappait vigoureusement le talkie-walkie avec la paume de sa main pour retrouver une qualité convenable de communication.

Quelques secondes énervantes s’écoulèrent…

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Contrôle radio. A vous.

–          OPJ Kilo Bravo ici agent Delta Yankee. Roger. A vous.

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Fort et clair[6]. N’ayant pas entendu le nom prononcé, l’inspecteur Kipré Bouazo ordonna à son agent de l’épeler. Il se saisit rapidement d’un stylo et sortit son paquet de cigarettes pour y noter le nom retransmis.

–          OPJ Kilo Bravo ici agent Delta Yankee. Roger. Sierra Oscar Romeo Oscar Tango Oscar X-ray India Charlie[7]. A vous. L’agent Diomandé Youssouf n’eut même pas le temps de terminer sa diction qu’il entendit un tonitruant « ce n’est pas possible ! Lui ? Il y a une fuite ! Il y a une fuite ! » La violente réaction de l’inspecteur Kipré Bouazo laissa l’agent tout pantois et le fit bégayer : « m..ma…mais…c’est…c’…c’est-à-di…di…di…mais c’est-à-dire que… »

–          Mais c’est-à-dire que vous n’avez pas fait votre travail ! Bande d’incompétents ! hurla l’inspecteur. Sérieusement en colère, il donna de nouvelles instructions à l’agent.

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Ordre immédiat d’intercepter individu Sierra Tango. Collationnez[8]. A vous.

–          OPJ Kilo Bravo ici agent Delta Yankee. Roger. Demande d’intercepter immédiatement individu Sierra Tango. A vous.

–          Agent Delta Yankee ici OPJ Kilo Bravo. Faites l’aperçu[9]. A vous.

–          OPJ Kilo Bravo ici agent Delta Yankee. Roger. Aperçu[10]. A vous

–          Agent Delta Yankee. Roger. Terminé.

L’inspecteur Kipré Bouazo reposa violemment le talkie-walkie dans son accroche, inspira profondément et libéra un grand soupir d’embarras. Après trente secondes de réflexion, « rebroussons chemin, cap sur l’hôtel Ivoire, je vais régler ce détail personnellement, de là, j’enverrai une patrouille à notre place récupérer et interroger le concubin de la morte. » ordonna-t-il à Sandy Nini. « De même, il faut que je prévienne le procureur de la République, le barreau de l’ordre des avocats et le Secrétaire Général du PIF. » indiqua-t-il. Quant à l’agent Diomandé Youssouf, poussé par un réflexe de policier, il avait depuis le début entrepris de filer et d’intercepter Soro Toxic. Il était déjà sur ses pas. L’ordre violent donné par l’inspecteur ne faisait, en fait, que confirmer la droite ligne de son initiative.

Cocody, hôtel Ivoire, trois heures après le crime…

Soro Toxic avait rejoint quelques minutes auparavant son frère à l’entrée des cuisines. Cela avait été très facile puisque ce dernier lui avait indiqué le chemin à emprunter pour ne pas éveiller des soupçons. Ils se saluèrent. Le réceptionniste témoin du meurtre exigea une avance pour l’information, ce que contesta fermement le faux réceptionniste. « Nous ne sous sommes pas entendus sur un montant. Tu as dit que je te rétribuerai à la fin de mon enquête, tu attendras la fin de mon enquête, point final. » dit-il. Le vrai réceptionniste plaida une avance parce qu’il était assailli par les problèmes familiaux et devait de l’argent à de méchants usuriers qui lui prélevaient à la source 90% de son maigre salaire. Refus catégorique du faux réceptionniste qui dit encore une fois que tout argent, si argent, lui, Soro Toxic devait donner, ne serait versé qu’à la fin de son enquête. Et encore sous réserve que ce double homicide révèle des trésors de scoop.

–          Je vais te dénoncer tout de suite à la flicaille qui est juste au-dessus de nous, vitupéra le vrai réceptionniste.

–          Ah bon ! J’aimerais bien voir çà, fit un Soro Toxic malicieux. Et quand ils te demanderont comment sais-tu que c’est moi ? que répondras-tu ? Et quand je leur dirai que tu es mon frère et que c’est bien toi qui m’a informé parce que j’ai ton appel dans la mémoire de mon téléphone, imagines-tu la peine que tu récolteras ? Tu as brisé le secret d’une enquête sache-le et, tu es bon pour un petit séjour au gnouf, abruti que tu es.

–          Tu ne me dénonceras jamais. Les journalistes ont pour devoir de protéger leurs sources. C’est dans votre déontologie.

–          Il n’est écrit nulle part qu’un journaliste doit rémunérer sa source. De plus, une source qui veut dénoncer son journaliste ne mérite pas le respect de la déontologie. D’ailleurs, dégage de mon chemin ! C’est décidé non seulement tu n’auras rien de ma part et je te ferai virer. J’ai de quoi mettre la pression sur le directeur général de ce palace pour te faire licencier. Ahuri, le vrai réceptionniste tenta de saisir à la gorge Soro Toxic et arma un dangereux coup de poing. Ce dernier, de manière vive, bloqua la main sur sa gorge, la tordit dans un mouvement supinateur, esquiva aisément un poing déjà dévié de sa trajectoire et contre-attaqua avec un terrible crochet au foie. Le vrai réceptionniste émit un râle de poulet égorgé et, le souffle coupé, s’effondra sur le sol plié en deux, un mince filet de salive s’échappant de sa bouche. Soro Toxic, s’agenouilla près de lui, ricana comme une hyène qu’il était, se releva et partit…

Après avoir emprunté le grand couloir qui longe la salle des conférences, Soro Toxic, de faux documents sous l’aisselle, tourna sur sa droite, se posta pas loin des ascenseurs en ayant une bonne vue sur la scène du crime. Il repensa à son frère et se dit que cet idiot n’avait pas menti. « Bien fait pour lui ! Il avait pensé que, plus grand, il pouvait me démolir. On sait maintenant de nous deux qui dort dans sa bave. » se réjouit-il intérieurement, esquissant un petit sourire carnassier. Deux agents passèrent près de lui. Il fit semblant de laisser tomber ses documents, toussa et se baissa pour les ramasser tout en les priant de l’excuser pour cette maladresse. Il les regarda prendre l’ascenseur. Il se releva et vint se mettre à l’extrême limite des rubans de police. Ses yeux ne manquaient rien de la scène. Les enquêteurs, le comptoir des réceptionnistes, le sang coagulant étalé sur le marbre, le tracé à la craie représentant la posture des victimes après le meurtre, les allées et venues d’agents qui, extrêmement occupés, ne faisaient pas attention à lui.

Il sortit son très petit smartphone acheté par une des ses conquêtes qui importait des marchandises de Dubaï, ouvrit la fonction appareil photo et mitrailla tout ce qu’il voyait. Après quelques minutes de flashage discret, comme Spiderman avec son sixième sens, il se sentit démasqué. Il tourna les yeux sur sa droite et en face de lui, à l’entrée du couloir menant à la salle de cinéma, un policier l’épiait étrangement. Il rangea son téléphone, tourna lestement sur lui-même et reprit le couloir par lequel il venait d’arriver. Se retournant pour voir si ce n’était qu’une méprise de sa part, il fut surpris de voir le même agent, talkie-walkie à l’oreille, le suivre comme un chacal attiré par une charogne.

Il pressa le pas et descendit sur sa gauche les escaliers menant à la célèbre boîte de nuit Le Top Raphia. « Dieu merci ! » se dit-il puisqu’il n’y avait personne. Il hésita entre prendre le chemin à droite menant à la piscine puis tourner à gauche en direction du bowling et des terrains de tennis pour sortir sur le quartier ébrié Blockhaus ou, se cacher dans les toilettes juste sur sa gauche. Il opta pour la deuxième solution, les toilettes.

L’agent Diomandé Youssouf, quelque peu contrarié par les vives remontrances de son chef, descendait les escaliers du Top Raphia, à pas de loup. Il dégaina son pistolet qu’il tint de côté en scrutant les alentours. Il sauta et se plaqua sur la grande porte d’entrée de la boîte de nuit, visant rapidement chaque recoin avec son flingue. Personne ! Il avança lentement, glissant sur le contreplaqué du mur, penchant la tête pour voir si du côté de la piscine ne se trouvait pas le journaliste. Il ne vit rien. Au moment de se retourner pour viser dans les toilettes, il fut surpris par un désarmant coup de coude placé sur la pointe du nez. Le pistolet automatique de l’agent vola et glissa sur les carreaux blancs de l’endroit, cognant les arêtes du mur comme dans un flipper. Soro Toxic, après le coup de coude, envoya un mordant atémi sur la pomme d’Adam du policier, le faucha avec un grand coup de pied à la cheville puis l’immobilisa face contre terre, mains croisées derrière le dos et scellées par son genoux droit.

–          Je ne te veux aucun mal, chuchota-t-il à l’agent de police groggy. J’ai eu une information de choix et je fais mon travail de journaliste. Ton attitude suspicieuse me donne à penser que le meurtre qui a eu lieu ici, a eu pour victimes des personnalités importantes. Il traîna l’agent jusqu’à récupérer son arme juste à côté. Je suis sûr que tu as une famille et que tu ne veux pour rien au monde mourir. Je sais que de toutes les façons je suis démasqué aussi, n’hésiterai-je pas à t’abattre. Donne-moi les noms des victimes tout de suite ! Vite !

–          Je ne sais pas ! Je ne sais pas ! Je ne sais rien ! Le dossier est classé top secret, pleura l’agent Diomandé.

–          Tu mens! Le journaliste s’énervait. Mon indic m’a dit qu’un ordre de ne pas laisser de fuites s’écouler a été transmis à tous les policiers. Donc, tu es forcément au courant. Tu veux garder le silence, c’est çà ? Bien, tu le garderas à tout jamais alors.

Il arma le pétard et le posa sur la nuque de l’agent.

–          Je…je…je ne sais pas qui est la femme assassinée mais le monsieur s’appelle Kobo Jules-Sésar. C’est le puissant homme d’affaires dont les acquisitions ont été saluées par toute la presse. Il est aussi avocat et s’occupe des affaires opaques du Parti Ivoirien de la Fraternité. Voilà ! Je t’en supplie ne m’abats pas.

–          C’était donc çà ! marmonna Soro Toxic en regardant dans le vide…

Il se souvint qu’il avait déjà entamé une enquête sur la réussite insolente de ce riche personnage. Son meurtre ne pouvait que confirmer les soupçons de malversations qu’il avait sur ce monsieur et son parti politique. L’histoire devenait sérieuse. Se félicitant intérieurement de son coup de bluff, il frappa violemment la nuque du policier avec la crosse rugueuse de son pistolet, l’envoyant brutalement et pour longtemps dans les bras de Morphée. Il le porta jusqu’à une cabine des toilettes, l’y enferma et ressortit en escaladant la porte. Il avait un nom et, foi de Soro Toxic, son enquête allait aboutir…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Officier de Police Judiciaire.

[2] Dans l’alphabet radio international, Kilo Bravo désigne les lettres K et B. Ici, Kilo Bravo  désigne les initiales de l’inspecteur Kipré Bouazo. En d’autres termes, OPJ Kilo Bravo signifie Officier de Police Judiciaire Kipré Bouazo.

[3] Dans l’alphabet radio international, Delta Yankee désigne les lettres D et Y. Ici, Delta Yankee désigne les initiales de l’agent Diomandé Youssouf.

[4] Dans le jargon policier, une rubalise est un ruban en matière plastique servant à baliser, à délimiter un lieu interdit d’accès momentanément.

[5] Dans la procédure radio, Roger (prononcez à l’anglaise « rodger ») est un terme qui indique que le message précédent a bien été compris par l’interlocuteur.

[6]Dans la procédure radio, « fort et clair » signifie que le signal de la liaison est impeccable.

[7] En alphabet radio international, telle est la manière d’épeler le nom du journaliste Soro Toxic. Cela donne S.O.R.O.T.O.X.I.C.

[8] Dans la procédure radio, « collationnez » est un terme qui ordonne de répéter l’instruction passée.

[9] Dans la procédure radio, « faites l’aperçu » est un terme qui demande à l’interlocuteur s’il a bien compris l’instruction passée et s’il est en mesure de l’exécuter.

[10] Dans la procédure radio, « aperçu » est un terme qui indique à l’interlocuteur que l’on a bien compris l’instruction et que l’on est en mesure de l’exécuter.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 5

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 12, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 4: Une romance entre Kobo Jules-Sésar et Cécilia, un concubin de plus en plus torturé, un policier qui se lance, déterminé, sur les traces du meurtre.

Cocody, hôtel Ivoire, environ trente minutes avant le crime…

Tapi dans sa Toyota, Sébastien Kouassi tel un geyser crachait des injures bouillantes. La douce et langoureuse chanson « djôn’maya » de l’interprète Burkinabé Victor Démé, discrètement diffusée par les baffles de sa voiture, n’apaisait aucunement la fureur qui l’habitait désormais. Et dire que cette chanson le transportait tous les matins quand il partait à son boulot en ayant fait un crochet par le Plateau, pour déposer sa promise. Ses narines, grandement ouvertes par le cauchemar se jouant devant ses yeux, rejetaient des flammes rouges fielleuses et impétueuses. On aurait dit un dragon enragé. Le .44 Magnum au poing, il se hissait au-dessus du volant tel un périscope pour voir, malgré les trombes d’eau, dans un coupé Jaguar XF blanc flocon de neige garé à vingt mètres et faiblement éclairé par un des lampadaires du parking, deux profils s’entrecroiser érotiquement. Il se rabaissa, déposa l’arme sur le siège avant passager, se saisit de son téléphone puis appuya furieusement les touches. Il entendit le bip d’appel sonner jusqu’à être basculé sur la messagerie du numéro composé. Il rappela une deuxième fois, la messagerie directement. Dans la Jaguar XF, Césaria Evora, dans une interprétation adagio du titre classique de la grande chanteuse Mexicaine Consuelo Velázquez « besame mucho », accompagnait les étreintes folles de l’amour. Sa voix puissante recouvrait les vibrations plaintives et larmoyantes du téléphone de Cécilia. Et celui-ci, la batterie complètement déchargée, s’éteignit au bout de la sixième vibration. Jules-Sésar, les mains glissant sur les courbes et collines de Cécilia lui souffla, après avoir laissé la pointe concupiscente de sa langue remonter le chemin partant de la base du cou jusqu’au lobe de l’oreille gauche, qu’il était impatient de rejoindre la suite réservée pour eux. Electrisée par les picotements procurés par les caresses linguales de Jules-Sésar, Cécilia acquiesça et lui susurra qu’elle se demandait bien quand se serait-il résolu à quitter ce parking offert aux yeux voyeurs de fantômes rôdeurs. A vrai dire, avertie par une curieuse prémonition, elle avait peur de cette lourde, pluvieuse et étrange pénombre. Elle baissa le miroir de maquillage rétro-éclairé juste au-dessus d’elle puis, se refit très vite une beauté en guise de dernière retouche avant son entrée sur la scène d’un spectacle sexuel haut en couleurs. Jules-Sésar, le bas-ventre douloureux et chauffé par un priape baveur à l’étroit dans un pantalon trop serré, en fit de même. Tout ceci, sous les yeux embusqués et injectés d’une folie vengeresse de Sébastien Kouassi.

Williamsville, dans un immeuble de la résidence Paillet, quinze minutes avant le crime…

La jeune Akissi Kan, brusquement tirée de son sommeil, faillit perdre le pagne noué autour de sa poitrine orgueilleuse en se précipitant pour aller décrocher le téléphone fixe qui hurlait. De sa main gauche, elle empêcha la chute du morceau de tissu puis de la droite, elle répondit avec son accent nasillard propre aux filles baoulé.

–          Allô ! Wan lé li ?[1]

–          Oui Akissi Kan, c’est tonton Sébastien. Ecoute bien ce que je vais te dire, a ti li ?[2]

–          Oui tonton, n’tili ![3]

–          Bien, tantie et moi nous n’allons pas rentrer à la maison ce soir. Très tôt demain matin, tu prends Dahlia et vous allez chez ma mère dans la grande cour familiale à Abobo. Dans notre chambre, il y a de l’argent dans un des tiroirs de la commode de tantie. Tu prends tout ce qu’il y a, tu payes votre transport et tu remets le reste à ma maman. Si elle te demande où nous sommes, tu lui réponds que nous avons décidé de passer le week-end en amoureux à l’hôtel Ivoire. Tu lui dis que dimanche, nous passerons vous récupérer. Et Dahlia, dort-elle ?

–          Oui tonton, Dahlia sou la mi soua lô[4].

–          Ok ! Embrasse-la de ma part.

Sébastien Kouassi mit rapidement fin à la conversation. La petite Akissi, étonnée par cette coupure brusque, eut un mauvais pressentiment. Etaient-ce vraiment des sanglots qu’elle avait perçus dans la voix de son oncle ? Pourquoi lui avait-il parlé d’un ton si martial et excité lui qui d’habitude employait un ton doux et rassurant quand il s’exprimait ? Pourquoi les deux, surtout tantie Cécilia, n’avaient-ils pas pris la peine de la prévenir longtemps auparavant ? Pourtant, sa tante lui avait dit qu’elle ne dormait pas ce week-end à la maison en raison d’un voyage d’affaires à l’étranger. Elle chassa ses doutes en se disant qu’assurément, ces retrouvailles amoureuses à l’hôtel Ivoire, pour secrètes qu’elles étaient, venaient à point nommé pour en finir avec cette atmosphère délétère qui régnait dans la maison depuis trois mois. Quand elle rejoignit sa chambre, elle sursauta en rencontrant les yeux ouverts, inquiets et interrogateurs de la petite Dahlia Laurine Kouassi. Elle vint se coucher près d’elle.

–          Yaki Dahlia, la ekoun ! Nan srè koun wô ![5] Il n’y a rien de grave, susurra Akissi Kan au bébé afin de la rassurer sans trop grande conviction.

A quelques encablures du camp de gendarmerie, trois heures après le crime…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette œuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur. »


[1] Qui est-ce ? En baoulé. Le baoulé est une ethnie du centre de la Côte-d’Ivoire appartenant au grand groupe Akan.

[2] As-tu compris ? En baoulé.

[3] J’ai compris ? En baoulé.

[4] Dahlia dort dans ma chambre. En baoulé.

[5] Pardon Dahlia, rendors-toi ! N’aie pas peur ! En baoulé.

Je ne pouvais faire comme si…chapitre 4

Posted in Je ne pouvais faire comme si... on novembre 12, 2009 by Edouard AZAGOH-KOUADIO

Précédemment dans le chapitre 3: seize heures avant le crime, les victimes prenaient rendez-vous pour une soirée romantique. Soro Toxic quand à lui, arrivait sur les lieux du massacre pour enquêter.

Edouard AZAGOH-KOUADIO noir et blancDevant un immeuble de la résidence Paillet, entre le cimetière de Williamsville et le zoo d’Abobo, environ trois mois avant le crime…

En face d’eux, sur un mur, dansaient de mystérieuses ombres qui ne les effrayaient nullement pas. Jules-Sésar laissa tranquillement tourner le moteur de sa voiture. Il voulait lui faire profiter encore de l’esthétique et du confort de celle-ci car, pour lui, tout très bon charmeur devait savoir que si déjà une belle voiture avait beaucoup plus d’impact que de jolis mots doux, une voiture de luxe était un joker efficace à tous les coups. Et emplissant de sa pureté cristalline la BMW X6 M, le slow qui passait en fond sonore accomplissait à merveille son travail final de séduction. Les accords mielleux de celui-ci et le timbre de voix soyeux de l’interprète combinées aux caresses froides soufflées par l’air conditionné, voyageaient et se posaient sensuellement sur la peau de Cécilia. Elle était bien comme on dit, les paupières fermées et la tête reposant sur l’épaule droite de Jules-Sésar.

–          Qui chante cette chanson ? En connais-tu les paroles ? demanda une Cécilia énamourée. Si tu peux, un jour, recopie-les pour moi s’il te plaît, pria-t-elle.

–          Ce sont les Righteous brothers qui chantent, deux artistes blancs du sud de la Californie aux Etats-Unis. La chanson qui passe presque sourdement s’appelle « unchained melody », elle est sortie en 1965. C’est un morceau qui est solidement ancré dans l’inconscient collectif depuis qu’il a été associé au succès du film « Ghost » avec feu Patrick Swayze et Demi Moore. Dans ce film, il y a une scène érotique où les deux acteurs après s’être essayés sans succès à la poterie font l’amour. Le réalisateur a bien jugé de mettre cette chanson sur cette scène parce qu’elle est devenue une scène-culte et « unchained melody » une chanson de love par excellence.

Jules-Sésar savait intuitivement que ses explications pédantes avaient fait de l’effet. Il en était sûr parce que juste au moment où il avait abordé la relation entre le film et la chanson, cette dernière s’était terminée, et sa voix de basse avait occupé romantiquement l’espace dans une synchronisation et une harmonie parfaites.

Encouragé par cette petite vanité, Il proposa autre chose.

–          Au lieu de te la recopier, je te la chanterai, veux-tu? Sans plus attendre, il remit la chanson puis, après avoir toussoté deux fois pour dégager ses cordes vocales, entonna le premier couplet :

Oh, my love, my darling,

I’ve hungered for your touch,

A long, lonely time,

And time goes by, so slowly

And time can do so much

Are you still mine?

A la partie « Are you still mine ? » il s’emporta et se perdit dans des aigus dissonants et désopilants: « maaaaaaaaiiiiiine ! », Cécilia pouffa de rire. Elle quitta son épaule, se recroquevilla et laissa éclater un gros fou rire.

–          Wouh ! Argh ! Au secours, je vais mourir. Maman ! Au secours ! KJS, reste dans le droit et le monde des affaires. Faut pas faire tous les chiens du quartier vont s’enfuir et puis les affairés vont se réveiller pour voir qui crie comme un cabri qui sera égorgé là. Wouhou ! D’ailleurs même, dis-moi quelle heure est-il ?

Pendant qu’elle finissait de rire, Jules-Sésar, quelque peu vexé, jura intérieurement de ne chanter que dans sa douche. Là, il ne serait plus la risée ni de Cécilia ni de sa femme Mariam qui, elle aussi, avait failli s’étouffer de rire, un jour où il était d’une grande inspiration.

–          Il est 02 heures 48 minutes du matin ma belle, dit-il.

–          Quoi ? Ce n’est pas possible ! Je dois rentrer Jules. Mon homme va commencer à avoir des doutes. Et même si je ne suis pas encore mariée, je lui dois un minimum d’égard.

Kobo Jules-Sésar réprima difficilement un gros sentiment de jalousie.

–          Tu peux rentrer ma tendresse, répondit-il le coeur contraint. Mais, je pense mériter, quand même, un baiser avant que tu ne me quittes.

Elle s’exécuta et sortit dare-dare du véhicule pour rejoindre son appartement. Assoiffé de ses lèvres, il tenta de la retenir, la suppliant de rester encore un peu. Trop tard ! Elle avait déjà franchi les premières marches de l’escalier de son immeuble. Cécilia pénétra essoufflée dans son appartement. Les ampoules éteintes, elle envisagea de les rallumer puis se ravisa. « Tant pis, je tâtonnerai dans le noir » murmura-t-elle. Elle ôta ses talons, rangea son sac sous ses aisselles et se mit à marcher à pas feutrés comme un félin. Evitant les chaises et meubles du salon, elle emprunta le couloir menant à sa chambre puis, actionna doucement la poignée de celle-ci. Un léger grincement fut à deux doigts de la faire défaillir.

Yopougon, forêt du banco, deux heures 45 après le crime…

Sébastien Kouassi, les yeux fermés et l’index sur la gâchette du revolver qui léchait sa tempe droite, décida de compter jusqu’à trois avant de se griller la cervelle. Il commença nerveusement son décompte : « un…deux…et…et…et…troooiiiiiiiiiiis ! » Il ne savait pas s’il avait crié avant de dire trois, s’il avait dit trois avant de crier ou s’il avait crié en disant trois. Toujours est-il que, les yeux grandement écarquillés et dans un état de tachycardie, il entendait régulièrement un petit « clic…clic…clic…clic…clic » chaque fois qu’il appuyait sur la gâchette. Il resta dans cette position pendant deux minutes, ne comprenant pas pourquoi il était encore en vie. Il retira le gun de sa tête, ouvrit le barillet et vit que celui-ci était vide. Il se souvint qu’il n’avait que deux balles dans son .44 Magnum. Depuis 1999, le commerce des armes étaient devenu très courant en Côte-d’Ivoire et, c’est sans grande peine qu’il parvint à trouver une arme puissante. Il s’était rendu le jour du crime au black Market d’Adjamé, entre midi et treize heures, voir un de ses contacts avec qui il entretenait un réseau parallèle de ventes de téléphones portables appartenant à la compagnie qui l’employait. Il nécessita son concours afin de posséder dans de brefs délais un puissant pistolet. Il n’attendit pas moins d’une heure dans un réduit métallique rouillé avant que son contact ne réapparaisse avec un géant à la mine franchement patibulaire. Ce dernier, déplia un voile rougeâtre très dégueulasse et lui montra un grand pistolet gris anthracite.

–          C’est un .44 Magnum, le revolver le plus puissant du monde, commença par dire l’effrayant expert. Il est destiné avant tout à la chasse du gros gibier. Aux States, il sert à dégommer en un seul coup des animaux tels que le chevreuil et le cerf de Virginie. Imaginez, monsieur, les dégâts causés sur un homme. Je n’ai malheureusement que deux munitions à vous procurer. Elles suffiront largement pour votre projet secret. J’ai gratté leurs numéros et modifié leur forme afin qu’en cas de souci, les flics ne puissent remonter la piste d’une quelconque filière d’approvisionnement. Le voulez-vous toujours ?

Fort impressionné par l’élocution limpide et savante du vendeur qui contrastait avec son visage noir-pétrole aux reliefs tailladés et accidentés, Sébastien n’hésita tout de même pas, et paya le prix nécessaire pour l’acquisition de la terrible arme à feu qu’il conserva toute la journée dans son sac. Néanmoins, par un coup du sort, elle était restée muette au moment où elle devait en finir avec lui. Deux balles ! Une pour Cécilia, une pour lui. Mais le hasard, la chance, la poisse, l’erreur, le manque de timing, le grain de sable, peu importe comment vous appelez tout imprévu survenant dans la marche d’un projet pour le détourner de son objectif, doit toujours être pris en compte même dans les plans les plus finauds. Deux balles ! Une pour Cécilia et une pour ce monsieur. Et lui ? Qu’allait-il devenir ? Après des minutes de réflexion, il coupa le contact de la voiture, en descendit, ôta le ciré qui le recouvrait et le polo Ralph Lauren en dessous, en fit une boule qu’il enfonça comme il put dans le pot d’échappement de sa Toyota Carina 2 couleur vermeil. Il y remonta torse nu et tout trempé. Avec un couteau qu’il trouva dans le coffre à gants, il déchira la tapisserie du siège passager et se nettoya avec ce qu’il put réunir comme tissu. Il avait prévu une mort par asphyxie dans sa voiture comme dans les films asiatiques qu’il regardait. Mais auparavant, le stylo posé sur le tableau de bord, il décida de reprendre et terminer son récit.

« (…) Je fis comme si rien n’avait existé mais, au fond de moi, je sentais une blessure s’écouler lentement. Dès que je vis ma femme pénétrer dans l’immeuble, je me jetai sur le lit tentant de feindre un profond sommeil. Elle ouvrit la porte très lentement, sans même jeter un coup d’œil sur le lit, elle fonça directement vers la douche et, quelques instants après, j’entendis l’eau couler. Comme je maintenais péniblement mes paupières immobiles, je me retournai afin qu’à sa sortie de douche, elle ne vît que mon dos. J’entendis la porte de la douche s’ouvrir puis je sentis un glissement clandestin, si peux dire comme çà, dans les draps. Comme à son habitude, elle jeta sa jambe gauche sur moi et m’enlaça très fort. Elle dégageait une chaleur irradiante qui guérissait tendrement ma blessure naissante et séchait amoureusement mes larmes silencieuses. Mais, je ne voulus pas me retourner afin que celles-ci ne l’alertassent point. Son pubis rasé me râpait légèrement la peau. Je l’entendis soupirer et se blottir plus que jamais contre mon dos comme un enfant le ferait avec sa mère. Et là, son portable vibra. C’était une vibration accompagnée de ce double bip qu’émettent les Nokia lorsqu’ils reçoivent un message. Mes yeux s’ouvrirent brusquement et je devins raide de stupeur. Je la sentis rampant sur le lit, dans un état de panique perceptible, se diriger vers son téléphone et l’éteindre. Elle ne revint plus se blottir contre moi et s’endormit aussitôt. Quant à moi, mon cœur rechargeait mes yeux de larmes de colère et de jalousie. Mais, je ne demandai aucun compte. Il y a trois jours de cela, avec le logiciel que j’ai téléchargé pour pirater ses sms, je suis remonté jusqu’à trois mois environ et je suis tombé sur un qu’elle a reçu à 03 heures 30 du matin : « ma douce, tes lèvres sont comme une fontaine de jouvence qui me rajeunit à chaque fois que je m’y abreuve. KJS.. »

Sébastien Kouassi cria de douleur et se frappa la bouche jusqu’au sang…

Plateau, commissariat du 1er arrondissement, deux heures cinquante cinq minutes après le crime…

Sandy Nini ouvrit la porte du Nissan Pick-up Vintage de la Police Nationale et s’installa au volant.

–          As-tu pris tout le nécessaire ? demanda l’inspecteur Kipré Bouazo, assis à la place du mort.

Sandy lui fit un hochement positif de la tête.

–          Bon ok ! On y va ! lança à la volée l’inspecteur…

(à suivre)

Une nouvelle écrite par Edouard AZAGOH-KOUADIO.

« Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de cette oeuvre sans l’autorisation expresse de l’auteur.«